Le projet “Antiquité et Anticipation” a été mis en œuvre avec des latinistes de niveau 3e. Nous le présentons ici car il pourrait donner aux enseignants de LCA, toujours soucieux de motiver leurs élèves tout en construisant des connaissances et des compétences solides, l’envie de se lancer dans une approche, certes consommatrice d’heures, mais capable de donner du sens aux apprentissages et de créer du lien à la fois entre les langues et cultures de l’Antiquité et le monde contemporain, mais aussi entre les disciplines.

Ce projet a consisté à faire rédiger à la classe un texte fictif collaboratif et interactif inspiré à la fois du récit de la mort de César par Suétone (capture d’écran 1),

assassinatSuetonCesar

mais aussi du film Hunger Games, dont nous avons visionné et analysé plusieurs extraits en début d’année. Mon objectif premier était de faire percevoir la présence toujours forte de la culture antique dans la création contemporaine, mais aussi de réfléchir aux problématiques politiques soulevées par la personnalité de César et le concept de didacture, celles du XXesiècle ayant changé radicalement le visage de l’Europe et du monde et eu un impact considérable sur la production artistique. Les contraintes spécifiques (outre les exigences habituelles de cohérence et de précision propres au genre narratif) étaient de manifester par cet écrit sa compréhension des enjeux politiques des périodes de l’histoire évoquées et des enjeux esthétiques du genre littéraire de l’anticipation, mais également de réinvestir les notions étudiées non seulement en cours de civilisation mais aussi, lorsque c’était possible, en cours de langue et de traduction.

Quels ont été les bénéfices de cette démarche ? Ils ont été multiples :

– la démarche de projet a garanti l’adhésion de tous les élèves jusqu’au terme du dispositif, notamment en raison de la grande part d’auto-détermination laissée aux élèves : il s’agit de leurcréation ; à ce titre, je n’avais par exemple pas prévu qu’un personnage féminin se glisse dans les rangs du Sénat (ô sacrilège !), mais ce fut pourtant le choix de certaines filles de la classe, qui durent batailler ferme pour imposer leur idée face à des garçons pour le moins dubitatifs ; de même, l’un des élèves, particulièrement féru de nouvelles technologies, a de lui-même proposé des néologismes désignant des objets du futur à partir de ses connaissances du lexique latin (capture d’écran 2)

glossaireAntiquitéAnticipation

– les élèves ont pu percevoir les liens étroits entre les disciplines : par exemple, les concepts de dictature et de propagande sont au cœur du programme d’histoire en 3e ; en français, la thématique “Agir dans la société : individu et pouvoir” permet aussi d’aborder les événements historiques majeurs du XXesiècle ; quant à l’entrée “Progrès et rêves scientifiques”, elle peut être l’occasion d’étudier le genre du récit d’anticipation

– de nombreuses compétences transversales ont été mises à contribution et améliorées : autonomie et initiative (la classe a établi un planning général des étapes successives du projet, puis chaque élève a dû choisir les tâches qu’il souhaitait effectuer), capacités rédactionnelles, argumentatives et sociales (le scénario a fait l’objet d’échanges oraux au cours desquels les élèves proposaient leurs idées et en débattaient) ; utilisation du numérique (dans un premier temps, travail collaboratif sur Framapad, puis sélection de la plateforme la plus adéquate pour présenter le récit multimédia et interactif, mise en forme sur Genial.ly de la production finale)

– le geste appropriatif d’écriture (cf. article consacré à l’ouvrage de B. Shawky-Milcent) a été transposé ici à la littérature et la civilisation antiques : les élèves ont ainsi pu réinvestir dans un cadre fictif très personnel toutes les connaissances relatives à la question de la politique à Rome à la fin de la République : où l’on perçoit les vertus parfois inexploitées de l’écriture d’invention…

– nous avons aussi intégré au récit la question des valeurs morales propres au citoyen romain (capture d’écran 3)

vertusromaines

et des qualités attendues d’un dirigeant dans l’Antiquité. Ainsi, les LCA ont permis de mettre en perspective des notions relatives à la citoyenneté et au civisme et de débattre de questions éthiques qui ont suscité beaucoup d’intérêt chez les élèves.

Je confesse que la durée prévue initialement a été largement dépassée, puisque ce projet nous a occupés toute l’année… Nous connaissons tous ces nécessaires adaptations au réel, qui est parfois têtu. Mais je n’ai pas observé de lassitude chez mes élèves, même s’ils ont bien dû se demander, comme moi, si nous parviendrions un jour au terme de cette production !

Au dernier trimestre, j’ai proposé aux volontaires (ils le furent tous à l’exception de deux) de les accompagner dans la préparation de leur oral du DNB s’ils choisissaient de présenter ce projet. Ce fut pour nous l’occasion de partager plus largement ce travail et de promouvoir les LCA dans l’établissement, mais aussi de valoriser le choix de l’option. Si le résultat final est loin d’être irréprochable, il donne cependant une idée du degré d’investissement des élèves et de leur maîtrise des notions abordées. 

L’ensemble de ce travail est accessible sur ce Genial.ly. Merci à Carine Ossard, professeur de Lettres classiques.

Bonne lecture. 

Mise en ligne 4 juin 2018