Amor de lonh (l’Amour de loin)
 
Jaufré Rudel, vers 1145
 
En Mai, par les longues journées,
 
Il m’est bien doux le chant des oiseaux lointain.
 
Mais quand je me suis égaré,
 
Me souvenant de mon amour de loin
 
je vais plein de désir, morne, tête baissée, Et ni chant d’oiseau, ni fleur d’aubépine
 
Me plaisent plus que l’hivernale gelée.
 
Jamais d’amour je ne jouirai
 
Si ne jouis de cet amour de loin.
 
Car mieux ni meilleur ne connais
 
Et ne vais nulle part ni près ni loin
 
Car tant est son prix vrai et pur
 
Que là, devant les Sarrasins,
 
Pour elle être captif je voudrais.
 
Triste et joyeux m’en partirai
 
Quand je verrai cet amour de loin.
 
Mais ne sais quand la reverrai
 
Car nos terrains sont vraiment loin.
 
 
 
Il y a tant cols et chemins
 
Et pour ceci ne suis devin
 
Mais que tout soit comme à Dieu plaît.
 
Paraîtra joie quand lui querrai
 
Pour l’amour-Dieu l’amour de loin.
 
Et s’il lui plaît j’habiterai
 
Près d’elle même si je suis de loin.
 
Alors arrivera l’entretien d’ami,
 
Et amant devenu proche quoique lointain,
 
Je jouirai du plaisir de ses beaux dits.
 
Je tiens bien le Seigneur pour vrai
 
Par qui verrai l’amour de loin
 
Mais pour un bien qui m’en échoit
 
J’ai deux maux car tant m’est de loin.
 
Ah que je sois là-bas pèlerin,
 
Et que ma cape et mon bâton
 
Soient par ses beaux yeux regardés.
 
Que Dieu qui fit tout qui va et vient
 
Et qui forma cet amour de loin
 
Donne le pouvoir au cœur que j’ai
 
Que bientôt je vois mon amour de loin.
 
En vérité, et en lieu aisé,
 
Tel que la chambre et le jardin
 
Me semblent dans tout temps un palais.
 
Il dit vrai qui me dit avide
 
Si désireux d’amour de loin
 
Car nulle autre joie ne me plaît
 
Que de jouir de mon amour de loin.
 
Mais ce que je veux m’est refusé
 
Car ainsi me dota mon parrain,
 
 
J’aime et ne suis pas aimé.
 
Mais ce que je veux m’est refusé
 
Que maudit soit le parrain
 
Qui fit que j’aime et ne suis pas aimé.