Vous trouverez  sur cette page  14 poèmes adressés par Jacques Fournier à ses amis  pour “tenir le coup”  dans cette période si particulière.

Un grand merci à lui pour ce partage.

Jacques Fournier est  directeur de la Maison de la Poésie de Saint-Quentin-en-Yvelines, vous trouverez une présentation de son travail sur le site du Printemps des poètes : https://www.printempsdespoetes.com/Jacques-Fournier

Bonjour

Quatre semaines de confinement. Quatre semaines de quasi silence pour moi.

Il a fallu digérer le coup de l’annulation de toute la programmation culturelle des Itinéraires poétiques (pour celles et ceux qui ne le sauraient encore : service créé en 2015 pour faire suite à feu La Maison de la Poésie de Saint-Quentin-en-Yvelines) et des événements programmés en dehors de cette vie professionnelle.
Finir donc brutalement 18 ans, 1 mois et 11 jours au service de la poésie et des poètes.
Attitude très égoïste, j’en conviens. Mais est ainsi faite l’humaine condition.

La vie continue. La poésie survivra à tout cela.

C’est pourquoi j’ai décidé de vous adresser un poème par jour à compter de ce 12 avril et ce, jusqu’à la levée du confinement, dont on ne sait quel il sera, voire la reprise “normale” de nos activités.

Jacques Fournier

                ***


Vous pouvez lire ces poèmes en suivant le fil rouge proposé par Jacques Fournier, au jour le jour,  ou cliquer sur chaque lien ci-dessous qui vous mènera au poème concerné -note du webmestre-.

POÈME POUR TENIR LE COUP #01

Pour ce premier jour, je souhaite rendre hommage à GUY CHATY, décédé le 7 avril dernier.

Guy aura été un compagnon de route, de la revue décol’ à laquelle il contribua dès le n°3, en 1994, en passant par des ateliers et la lecture d’Anatole et son chat dans la programmation de la Maison de la Poésie et les hommages à notre ami commun Jean l’Anselme, avec lequel il partageait un goût prononcé pour l’humour.
Il avait reçu le Prix Lire et faire lire – Printemps des Poètes en 2014 pour son recueil A cheval sur la lune, éd. Soc&Foc.
On se croisait sur le Marché de la Poésie. On échangeait deux-trois mots.
Un poème publié dans décol’ n°3, avril 1994, clin d’œil au Hareng saur de Charles Cros

POÈME POUR TENIR LE COUP #02

Bonjour

Le poème ci-après de WISŁAWA SZYMBORSKA fait lien avec celui de Guy Chaty que vous avez reçu hier.
Le début d’une chaîne ? Peut-être.
L’avenir, qui sera, le dira.
Prenez soin de vous.

POÈME POUR TENIR LE COUP #03

Bonjour
Hier, De périr avec nous (les nuages) ne sont point tenus, disait le poème de Wisława SZYMBORSKA.
Mais pourquoi périr ? et si mal ? demande ABDELLATIF LAÂBI dans ce poème publié dans Le Spleen de Casablanca, éd. de la Différence, 1996

POÈME POUR TENIR LE COUP #04

Bonjour
Hier, Abdellatif Laâbi en appelait à sa “tempête extravagante”.
Qui dit tempête dit vent.
Lien ténu, certes, mais réel et assumé avec le poème d’HÉLÈNE DORION, extrait de Un Visage appuyé contre le monde, coéd. Le Noroît / Le Dé bleu, 1990, le recueil par lequel j’ai découvert, il y a 25 ans, cette voix essentielle de la poésie de langue française, qui m’accompagne encore aujourd’hui, et à laquelle j’adresse un salut amical.Portez-vous bien.

Jacques Fournier

POÈME POUR TENIR LE COUP #05

Bonjour
Aurons-nous le temps, répète Hélène Dorion dans le poème que je vous ai choisi hier.
Il nous faudrait Du temps en plus, ainsi que le propose ARMAND MONJO dans ce poème extrait de La Quadrature du XXe siècle, éditions Subervie, 1983.

POÈME POUR TENIR LE COUP #06

Bonjour
“Du temps (…) / pour apprendre aux plus mal vivants / ce temps en plus / qui peut-être pourra doubler leur vie” écrivait Armand Monjo.
Ces temps-ci, les “plus mal vivants” sont nombreux, plus encore qu’hier.
Parmi eux, les “migrants”, “pauvres gens à qui nous enlevons même / la petitesse d’un pré-fixe comme un bout de terre” (Patricia Cottron-Daubigné, in Ceux du lointain, éd. L’Amourier, 2017).
C’est aussi de celles-là et ceux-là que parlent la poète ivoirienne TANELLA BONI dans son recueil Toute d’étincelles vêtue, éd. Vents d’ailleurs, 2014, que ce poème clôt.

POÈME POUR TENIR LE COUP #07

Bonjour
A la suite du poème de Tanella Boni, que choisir ? Le chemin ? L’horizon ? Le chant ? l’aube du départ ? Je m’arrête sur le chemin, pour avoir croisé celui de YVES-JACQUES BOUIN il y a de cela une trentaine d’années mais aussi ce soir, dans son recueil Je crois que tout n’est pas fini je vole, éd. Rhubarbe, 2014.

POÈME POUR TENIR LE COUP #08

Bonjour
Lire J’inhabite dans le poème de Yves-Jacques Bouin nous renvoie à Friedriche Hölderlin qui écrivait, en 1823, au cœur de son poème In lieblicher Bläue… : « Voll Verdienst, doch dichterisch, / wohnet der Mensch auf dieser Erde ».
“Riche en mérites, mais poétiquement toujours, / Sur terre habite l’homme” (traduction André du Bouchet pour l’édition en Pléiade, 1977).
Habiter poétiquement le monde est devenu le titre d’une belle et riche anthologie manifeste de poèmes et proses rassemblés par Frédéric Brun, éd. POESIS, 2016.
En ces temps de confinement, notre terre se limite souvent à notre demeure, appartement ou maison.
Ainsi les poètes aussi habitent-ils poétiquement leur demeure.
Celle de la poétesse syrienne HALA MOHAMMAD n’est plus, à l’instar de celles de milliers de Syriennes et Syriens.

Pour ne pas oublier que, là-bas, la guerre tue encore.

POÈME POUR TENIR LE COUP #09

Bonjour
La relecture des poèmes de la première salve m’amène à vous proposer plus de légèreté pour ouvrir cette nouvelle semaine.
Hier, le rire de la maison de Hala Mohammad ne prêtait pas à rire.
Alors, ce lundi, quelques Est-ce que, de l’ami Jean-Claude TOUZEIL, piochés dans son blog, http://biloba.over-blog.com, richissime de poèmes, autres textes et photographies, saluts aux autres poètes, que je ne peux que vous inciter à visiter pour passer un bon moment (voire plusieurs).
Une manière aussi de saluer le père fondateur du Printemps de Durcet (Orne) qui aurait dû fêter le weekend prochain sa 35e édition. Pas grave : on y sera l’an prochain, garanti sans virus (on l’espère !).

POÈME POUR TENIR LE COUP #10

Bonjour
Tout poème n’est-il pas que question(s) ? Ou alors une tentative de réponse à une question posée de tout temps : Pourquoi écrire ?
Déjà croisée pour introduire Tanella Boni (Poème pour tenir le coup #06), PATRICIA COTTRON-DAUBIGNÉ, comme tant d’autres poètes, aborde cette tentative de réponse dans une mince plaquette de 24 pages au format tout aussi mince de 10,5×15, aux éditions Comme ça et Autrement, 1999, que dirigeait Jean-Christophe Belleveaux.
Un poème publié dans décol’ n°3, avril 1994, clin d’œil au Hareng saur de Charles Cros

POÈME POUR TENIR LE COUP #11

Bonjour
« j’écris pour les noces de couleur / pour des embrasements d’amour », écrivait Patricia Cottron-Daubigné.Combien de poètes ont dit ces embras(s)ements ! Le choix était large dans ma bibliothèque.
Ce sera CHARLES JULIET, poète discret mais essentiel, essentiel parce que discret.

POÈME POUR TENIR LE COUP #12

Bonjour
Aux paupières closes de Charles Juliet répondent les Paupières closes de MÉRÉDITH LE DEZ et Emmanuelle Boblet, peintre, dans un magnifique recueil carré de belle facture publiée en 2017 aux éditions Mazette :
Tout un monde crevé d’images d’odeurs de cris
Dans l’ombre saturée des yeux à paupières closes

POÈME POUR TENIR LE COUP #13 

Bonjour

Le carré blanc de Mérédith Le Dez fait bien entendu penser à celui de Kasimir Malevitch, peint en 1918 et qui révolutionna l’art moderne. L’ami Julien Blaine y a pensé en m’envoyant une reproduction de l’œuvre, visible au MoMa de New York.
Le blanc renvoie aussi, non à son contraire, mais à son complémentaire : le noir. Alors, léger saut dans le temps alors que depuis le premier Poème pour tenir le coup je reste dans le contemporain.
LÉON GONTRAN DAMAS, né en 1912 en Guyane décédé en 1978, est le moins connu des mousquetaires de la Négritude, mais certainement le plus accessible, par sa langue directe, sans concessions, faussement simple, loin de l’ésotérisme parfois abscons de Césaire ou du classicisme renouvelé de Senghor.
Riche de ses origines amérindiennes, européennes et africaines, il peut écrire : « Trois fleuves coulent dans mes veines » (Black-Label, Gallimard, 1956).
Blanchi est un des poèmes essentiels de Pigments, son premier recueil, préfacé par son ami Robert Desnos, et œuvre-phare du mouvement de la Négritude.

POÈME POUR TENIR LE COUP #14

Bonjour

Hier, Léon Gontran Damas nous renvoyait à l’Afrique, où nous avons déjà croisé Tanella Boni. ANANDA DEVI est mauricienne.

Pour ce premier jour, je souhaite rendre hommage à GUY CHATY, décédé le 7 avril dernier.
Guy aura été un compagnon de route, de la revue décol’ à laquelle il contribua dès le n°3, en 1994, en passant par des ateliers et la lecture d’Anatole et son chat dans la programmation de la Maison de la Poésie et les hommages à notre ami commun Jean l’Anselme, avec lequel il partageait un goût prononcé pour l’humour.
Il avait reçu le Prix Lire et faire lire – Printemps des Poètes en 2014 pour son recueil A cheval sur la lune, éd. Soc&Foc.
On se croisait sur le Marché de la Poésie. On échangeait deux-trois mots.

  ***

POÈME POUR TENIR LE COUP #01

Pour ce premier jour, je souhaite rendre hommage à GUY CHATY, décédé le 7 avril dernier.

Guy aura été un compagnon de route, de la revue décol’ à laquelle il contribua dès le n°3, en 1994, en passant par des ateliers et la lecture d’Anatole et son chat dans la programmation de la Maison de la Poésie et les hommages à notre ami commun Jean l’Anselme, avec lequel il partageait un goût prononcé pour l’humour.
Il avait reçu le Prix Lire et faire lire – Printemps des Poètes en 2014 pour son recueil A cheval sur la lune, éd. Soc&Foc.
On se croisait sur le Marché de la Poésie. On échangeait deux-trois mots.
Un poème publié dans décol’ n°3, avril 1994, clin d’œil au Hareng saur de Charles Cros

 

LE PÊCHEUR D’OISEAU

Assis sur un nuage
rond
un pêcheur d’oiseau
regardait son hameçon
nu

Il survint un orage
bleu
qui creva le support
et précipita le pêcheur
Or

sur la terre il roulait
blanc
un torrent de truites
qui dévorèrent le pêcheur
cru.

POÈME POUR TENIR LE COUP #02

Bonjour
Le poème ci-après de WISŁAWA SZYMBORSKA fait lien avec celui de Guy Chaty que vous avez reçu hier.
Le début d’une chaîne ? Peut-être.
L’avenir, qui sera, le dira.
Prenez soin de vous.

NUAGES

La description des nuages
exige de faire diligence –
en une fraction de seconde
ils ne sont plus tels, ils sont autres.

Leur trait principal consiste
à ne jamais reproduire
ni formes, ni teintes, ni poses, ni dessins.

Jamais porteurs d’aucune mémoire,
légers, ils survolent la gravité des faits.

Témoins de quelque chose – vous voulez rire !
au moindre souffle, voilà qu’ils s’éparpillent.

En regard des nuages
la vie semble solide,
presque enracinée et quasi éternelle.

A côté des nuages
les pierres sont nos sœurs,
sur elles nous pouvons compter,
tandis qu’eux, mon Dieu, des cousins lointains et volages.

Que les gens soient, s’ils y tiennent,
et qu’ils meurent ensuite un à un,
les nuages n’en ont rien à faire
de ces affaires
extraordinaires.

Au-dessus de ta vie parfaite,
de la mienne, imparfaite pour l’instant,
ils paradent, fastueux comme avant.

De périr avec nous ils ne sont point tenus.
Pour voguer, nul besoin d’être vu.

in Instant, 2002, repris dans De la Mort sans exagérer, Poèmes 1957-2009, Gallimard NRF Poésie, traduction du polonais revue et corrigée par Piotr Kaminski, 2018.

Wisława Szymborska, poète polonaise, née en 1923, décédée en 2012. Prix Nobel de littérature 1996.
“Poésie affranchie de tout problème formel, aimablement ouverte vers son lecteur, elle lui révèle des abîmes métaphysiques souvent traités sur le mode de la plaisanterie apparente, du faux étonnement, où l’extrême sensibilité se pare de distanciation et d’ironie – parfois grinçante, jamais amère.” ext. de la préface de Piotr Kaminski

POÈME POUR TENIR LE COUP #03

Bonjour
Hier, De périr avec nous (les nuages) ne sont point tenus, disait le poème de Wisława SZYMBORSKA.
Mais pourquoi périr ? et si mal ? demande ABDELLATIF LAÂBI dans ce poème publié dans Le Spleen de Casablanca, éd. de la Différence, 1996

Allons
il n’y a pas lieu
de crever de la sorte
mijoté
à petit feu
l’amour en berne
le rêve éventré
comme un rat
Viens ma tempête extravagante
Il y a bien une taverne
où l’échanson
a revêtu la cape de la rédemption
et verse dans la coupe
l’élixir de la fraternité perdue
Allons boire jusqu’à l’aube
et que la Faucheuse
aille paître ailleurs

Né en 1942 à Fès (Maroc), Abdelaltif Laâbi collabore en 1966 à la création et à l’animation de la revue Souffles, dont le champ littéraire et artistique s’ouvre aux problèmes sociaux et économiques. Fondateur d’un mouvement d’extrême-gauche clandestin au royaume d’Hassan II, il est arrêté, torturé, et condamné en 1973 à 10 ans de prison.
Grâce à une campagne internationale, il est libéré en 1980. Il s’exile en France cinq ans plus tard.
Poète, mais aussi romancier, dramaturge, traducteur et essayiste, “Abdellatif Laâbi est un frère qui vous accompagne dans les rues du quotidien” (Jean Pérol, in préface à Œuvre poétique II, éd. de la Différence, 2009).
Son œuvre poétique intégrale a été publié en 2 volumes aux éd. de la Différence en 2006 et 2009, puis aux éditions du Sirocco, au Maroc, en 2018.
Prix Robert Ganzo 2008; Goncourt de la Poésie 2009; Grand Prix de la Francophonie de l’Académie française 2011.

POÈME POUR TENIR LE COUP #04

Bonjour
Hier, Abdellatif Laâbi en appelait à sa “tempête extravagante”.
Qui dit tempête dit vent.
Lien ténu, certes, mais réel et assumé avec le poème d’HÉLÈNE DORION, extrait de Un Visage appuyé contre le monde, coéd. Le Noroît / Le Dé bleu, 1990, le recueil par lequel j’ai découvert, il y a 25 ans, cette voix essentielle de la poésie de langue française, qui m’accompagne encore aujourd’hui, et à laquelle j’adresse un salut amical.
Portez-vous bien.
Jacques Fournier

Aurons-nous le temps d’aller très loin
de traverser les carrefours, les mers, les nuages
d’habiter ce monde qui va parmi nos pas
d’un infini secret à l’autre, pourrons-nous écouter
le remuement des corps à travers le sable;
aurons-nous le temps
de tout nous dire et d’arrêter d’être effrayés
par nos tendresses, nos chutes communes;

pourrons-nous tout écrire
d’un passage du vent sur nos visages
ces murmures de l’univers, ces éclats d’immensité;
aurons-nous le temps de trouver
un mètre carré de terre et d’y vivre
ce qui nous échappe;

je ne sais pas encore.

Née en 1958 à Québec, Hélène Dorion, au fil de quelque vingt recueils de poésie (publiés au Québec et en France), de récits et d’essais, est devenue une des plus importantes voix de la poésie de langue française.
Pour sa contribution remarquable à la littérature québécoise, elle a reçu le prix Athanase-David 2019, la plus haute distinction décernée par le Gouvernement du Québec en littérature.
« Nous avons besoin de sa quête intérieure, de cette immensité du dedans, de ce vent de l’âme que sa poésie ne cesse de faire souffler et de faire entendre, comme pour laver notre monde de ses scories, de ses bruits inutiles, de ses enjeux mesquins, afin d’y dégager un espace pur et un temps de vivre». Pierre Nepveu (source :www.helenedorion.com).

POÈME POUR TENIR LE COUP #05

Bonjour
Aurons-nous le temps, répète Hélène Dorion dans le poème que je vous ai choisi hier.
Il nous faudrait Du temps en plus, ainsi que le propose ARMAND MONJO dans ce poème extrait de La Quadrature du XXe siècle, éditions Subervie, 1983.

DU TEMPS EN PLUS

Du temps en plus pour l’amitié des plantes
pour une orbe élargie de caresses
pour plus de science à respirer
cette bouche de joie la fleur
Plus subtile l’oreille
aux vies élémentaires
du bois de la pierre des flammes
Plus disponible à la foule des feuilles
ces mains tendues
Du temps pour tendre une lanterne
à l’inconnu perdu dans son brouillard
pour transmettre au voisin le geste qui libère
le regard qui nourrit
pour apprendre aux plus mal vivants
ce temps en plus
qui peut-être pourra doubler leur vie

Né en 1913 à Cavaillon, décédé en 1998 à Paris, Armand Monjo a été aérostier, résistant et professeur et grand traducteur d’italien.
J’ai eu l’immense bonheur de connaître ce grand poète discret qui traversa le 20e siècle à l’ombre des grandes figures que l’histoire littéraire retiendra.
J’ai eu l’immense joie de publier deux recueils de lui destinés à la jeunesse, de rééditer son premier recueil, Poursuites, que publia, en 1942, le grand éditeur Pierre Seghers avant d’être Pierre Seghers.
J’ai eu l’immense joie de publier les premières pages de son autobiographie, Ouverture à la Joie, dans lesquelles il racontait son entrée en écriture au contact de Jean Giono.
” Il y a peu d’œuvres en vérité aussi entêtées de fraternité, aussi généreuses à célébrer la vie, convoquant tous les visages du monde, revendiquant des bonheurs concrets, alertées sans cesse du sort des plus humbles, sacrifiés et démunis.” Jean-Pierre Siméon, in L’Humanité, 3 avril 1998.

POÈME POUR TENIR LE COUP #06

Bonjour
“Du temps (…) / pour apprendre aux plus mal vivants / ce temps en plus / qui peut-être pourra doubler leur vie” écrivait Armand Monjo.
Ces temps-ci, les “plus mal vivants” sont nombreux, plus encore qu’hier.
Parmi eux, les “migrants”, “pauvres gens à qui nous enlevons même / la petitesse d’un pré-fixe comme un bout de terre” (Patricia Cottron-Daubigné, in Ceux du lointain, éd. L’Amourier, 2017).
C’est aussi de celles-là et ceux-là que parlent la poète ivoirienne TANELLA BONI dans son recueil Toute d’étincelles vêtue, éd. Vents d’ailleurs, 2014, que ce poème clôt.

Je m’en vais déclarant à chaque escale
Le permis de non-séjour
Inscrit sur les lignes de ma main
Je m’en vais emportant dans mon sac à dos
Le poids du monde
Car les ruelles de la traversée
Ont pris possession de mon corps

Je regarde demain avec les milliers d’empreintes
Qui peignent le fond de mon âme
Le chemin est encore loin
L’horizon n’est pas à nos pieds
Mais j’aime le chant des jours à venir
Et je suis partie tôt ce matin.

Poétesse, romancière et philosophe, Tanella Boni est née à Abidjan, en Côte d’Ivoire.
Prix Kourouma 2005, Prix Continental et Prix international de poésie Antonio Viccario 2009.
” Sa poésie est portée par un humanisme rempli d’amour et de compassion, mais elle ne craint pas de dénoncer aussi les oppressions et les violences, commises en particulier contre les femmes.” (lesvoixdelapoesie.com)

POÈME POUR TENIR LE COUP #07

Bonjour
A la suite du poème de Tanella Boni, que choisir ? Le chemin ? L’horizon ? Le chant ? l’aube du départ ? Je m’arrête sur le chemin, pour avoir croisé celui de YVES-JACQUES BOUIN il y a de cela une trentaine d’années mais aussi ce soir, dans son recueil Je crois que tout n’est pas fini je vole, éd. Rhubarbe, 2014.

Le chemin n’est pas marché
Mais respiré
La succession des pas dans l’herbe
Serait juste un murmure
Le pas ne fait plus partie de la progression
Sur le chemin
Il n’y a que l’immobilité
A grande vitesse
Qui dessine un visage dans un paysage
Dans un pays dans un passage
Sur une page et que vous tournez
Je vois sous mon corps ce qui respire
Est-ce vous
Le déplacement est inviolable
Etendu comme deux ailes
Ici ou là peu m’importe
Je n’en suis pas
Même dans le poème
J’inhabite
Je suis présent comme l’évidence
Mais personne ne me voit
Je ne suis même pas soupçonné
D’être là
J’inhabite
Vous
Êtes

La mésange dit : tsi tsi tsi tsi
A tire d’aile
Une cloche du soir élague les bruits
J’inhabite
Je crois que tout n’est pas fini
Je vole

Au moment de finir la saisie de ce poème, l’angélus du soir sonne au clocher de l’église du Tremblay-sur-Mauldre.
Comédien, metteur en scène, lecteur et poète. Yves-Jacques Bouin est tout cela. Il s’est aussi occupé pendant des années de programmations littéraires à Dijon (où il réside) et en Bourgogne. J’ai eu le bonheur de publier en1997 ce qui fut, après une fine plaquette au Pré de l’âge, son premier recueil de poésie : Une Passée de paroles, depuis réédité aux éditions Mazette, par l’ami Gilles Cheval.
Il fut aussi, à de nombreuses reprises, de l’aventure de la Maison de la Poésie de Saint-Quentin-en-Yvelines et des Itinéraires poétiques.

POÈME POUR TENIR LE COUP #08

Bonjour
Lire J’inhabite dans le poème de Yves-Jacques Bouin nous renvoie à Friedriche Hölderlin qui écrivait, en 1823, au cœur de son poème In lieblicher Bläue… : « Voll Verdienst, doch dichterisch, / wohnet der Mensch auf dieser Erde ».
“Riche en mérites, mais poétiquement toujours, / Sur terre habite l’homme” (traduction André du Bouchet pour l’édition en Pléiade, 1977).
Habiter poétiquement le monde est devenu le titre d’une belle et riche anthologie manifeste de poèmes et proses rassemblés par Frédéric Brun, éd. POESIS, 2016.
En ces temps de confinement, notre terre se limite souvent à notre demeure, appartement ou maison.
Ainsi les poètes aussi habitent-ils poétiquement leur demeure.
Celle de la poétesse syrienne HALA MOHAMMAD n’est plus, à l’instar de celles de milliers de Syriennes et Syriens.
Pour ne pas oublier que, là-bas, la guerre tue encore.

Idée 1

La maison n’est plus qu’une idée
Au seuil un paillasson bleu sur lequel on peut lire Bienvenue
en arabe et en anglais
Au milieu de nuages qui rient
Tu sonnes et la porte rit. La maison s’ouvre devant toi et
rit. Les chambres, les assiettes, la table et la poussière
sur les rideaux rient. Le carrelage, comme l’or du soleil
qui s’y colore, rit.
Le mur abattu par le bombardement rit. Les décombres
où les oiseaux ont construit leurs nids rient
La paille et le nid rient. Le triste roseau du nay,
éclaboussé par le ruisseau, et le ruisseau rient
Les voix restées à la maison de ceux qui sont partis,
résonnent encore et rient
Et celui qui y demeure, demeure dans une photo qui rit,
sur un mur qui rit.

in Prête-moi une fenêtre, éd. Bruno Doucey, 2018, trad. de l’arabe (Syrie) par Antoine Jockey

Née à Lattaquié, Hala Mohammad est poète et réalisatrice. Elle a réalisé des documentaires dont Lorsque Qassioun est fatigué, portrait du poète syrien Mohammed Maghout, présenté dans de nombreux festivals et, en 2017, à La Moquette – Paris, à l’initiative de L’Union des poètes & Cie. Elle a publié 7 recueils en langue arabe. Arrivée en France fin 2011, dès après le début de la guerre qui déchire encore son pays, elle s’est consacrée à faire connaître la culture syrienne et les poètes et artistes syrien•nes assassiné•es par le régime sanguinaire de Damas et ses complices, parce que “la poésie c’est la voix des absents”.
Après Ce peu de vie, éd. Al Manar / Festival Voix vives de Méditerranée en Méditerranée, 2016, Prête-moi une fenêtre est son 2e recueil en français.
A lire : https://chroniquesdesimposteurs.wordpress.com/2018/11/14/entretien-avec-hala-mohammad/

POÈME POUR TENIR LE COUP #09

Bonjour
La relecture des poèmes de la première salve m’amène à vous proposer plus de légèreté pour ouvrir cette nouvelle semaine.
Hier, le rire de la maison de Hala Mohammad ne prêtait pas à rire.
Alors, ce lundi, quelques Est-ce que, de l’ami Jean-Claude TOUZEIL, piochés dans son blog, http://biloba.over-blog.com, richissime de poèmes, autres textes et photographies, saluts aux autres poètes, que je ne peux que vous inciter à visiter pour passer un bon moment (voire plusieurs).
Une manière aussi de saluer le père fondateur du Printemps de Durcet (Orne) qui aurait dû fêter le weekend prochain sa 35e édition. Pas grave : on y sera l’an prochain, garanti sans virus (on l’espère !).

Est-ce que c’est vraiment par hasard qu’on a accroché
dans la salle d’attente de l’ophtalmologiste
la reproduction d’un tableau de Miró ?

***
Est-ce que l’entreprise chargée
de la construction de la Tour de Pise
a été mise en redressement judiciaire ?

***
Est-ce que la sorcière a fini par monter
dans la voiture-balai ?

***
Est-ce qu’on peut réellement
interdire le stationnement aux nomades ?

***
Est-ce qu’on peut affirmer avec certitude
que le mois d’août ?

***
Est-ce qu’on peut croquer la pomme de reinette
avec une grenouille de bénitier ?

***
Est-ce que, quand elle change de fuseau,
la Belle au Bois Dormant supporte bien le décalage horaire ?

Jean-Claude Touzeil est poète à seize heures, voire seize heures trente, jardinier, planteur d’arbres. Il a aussi planté une trentaine de recueils de poésie chez de nombreux éditeurs militants (Donner à voir, Gros Textes, Soc & Foc, l’épi de seigle, Le Chat qui tousse , …). Ses textes ont été mis en musique et chantés par Francesca Solleville, Gérard Pitiot, Martine Caplanne et Gérard Delon.

POÈME POUR TENIR LE COUP #10

Bonjour
Tout poème n’est-il pas que question(s) ? Ou alors une tentative de réponse à une question posée de tout temps : Pourquoi écrire ?
Déjà croisée pour introduire Tanella Boni (Poème pour tenir le coup #06), PATRICIA COTTRON-DAUBIGNÉ, comme tant d’autres poètes, aborde cette tentative de réponse dans une mince plaquette de 24 pages au format tout aussi mince de 10,5×15, aux éditions Comme ça et Autrement, 1999, que dirigeait Jean-Christophe Belleveaux.

POÈME DE CIRCONSTANCE

Où sont les bruits du dehors
les mots du poème
lèveront-ils des airs de révolte
des regards plus vifs compagnons
de rêve
resteront-ils dans l’étouffoir tranquille
du livre
réveilleront-ils ami tous les refus nécessaires
J’écris pour rendre à l’aube
son immobilité vierge et la beauté des
premiers froissements
j’écris pour donner à l’homme
la gloire de chaque heure
la petite étoile du rêve au revers du jour
pour accorder mon visage au miroir
j’écris pour les noces de couleur
pour des embrasements d’amour
j’écris pour refuser
le bruit des bottes
crissant
sous les souliers vernis.

Patricia Cottron Daubigné vit et travaille en bordure du marais poitevin et avance son chemin de poète, chemin d’amour (Tesselles des Jours et des Nuits, l’épi de seigle, 1998), de révolte (Croquis-Démolition, la Différence, 2011) et de conscience (Paysage avec Roms, fleur sauvage et chemin d’horizon, Biennale internationale des poètes en Val de Marne, 2015, Ceux du Lointain, L’Amourier, 2017). Une voix incontournable qui regarde et dit le monde en face.

POÈME POUR TENIR LE COUP #11

Bonjour
« j’écris pour les noces de couleur / pour des embrasements d’amour », écrivait Patricia Cottron-Daubigné.
Combien de poètes ont dit ces embras(s)ements ! Le choix était large dans ma bibliothèque.
Ce sera CHARLES JULIET, poète discret mais essentiel, essentiel parce que discret.

paupières closes
lèvres gonflées
les bras lourds
se mouvant
avec lenteur
et tant de secrets
dans ses formes
ses courbes
la tiédeur
de sa nuit
elle est érigée
au-dessus de moi
qui m’érige
en ses flancs
celle qui étend
sur moi
l’abondante
ramure de
son chêne
me berce
du murmure
de ses feuilles
me comble de
toutes les richesses
de ses eaux

© Charles Juliet, in Affûts, éd. P.O.L., 1990

Prix Goncourt de la Poésie pour Moisson (P.O.L., 2013), Grand Prix de l’Académie française pour l’ensemble de son œuvre en 2017. Outre de la poésie, Charles Juliet écrit des essais sur des artistes (Rencontre avec Bram van Velde ou Samuel Beckett, Entretiens avec Pierre Soulages, Raoul Ubac, Fabienne Verdier, etc.), des romans (L’Année de l’éveil). Il faut avoir lu Lambeaux, P.O.L., 1995, émouvant et puissant récit autobiographique dans lequel l’auteur célèbre ses deux mères. Il faut aussi l’entendre lu par Didier Sandre, 1 CD, Gallimard Ecoutez lire, 2020.

POÈME POUR TENIR LE COUP #12

Bonjour
Aux paupières closes de Charles Juliet répondent les Paupières closes de MÉRÉDITH LE DEZ et Emmanuelle Boblet, peintre, dans un magnifique recueil carré de belle facture publiée en 2017 aux éditions Mazette :
Tout un monde crevé d’images d’odeurs de cris
Dans l’ombre saturée des yeux à paupières closes

Après avoir été enseignante de lettres, Mérédith Le Dez a créé les éditions MLD. Elle se consacre maintenant à l’écriture, tant de poésie (parmi les titres : Journal d’une guerre, Folle Avoine, 2013, Prix Yvan Goll 2015 ; Cavalier seul, Mazette, Prix Vénus Khoury-Ghata 2017) qu’au roman (Baltique, roman fantôme, éd. Les Bruit des Autres, 2015 ; Le Cœur mendiant, La Part Commune, 2018, Prix du Roman de la Ville de Carhaix).

POÈME POUR TENIR LE COUP #13

Bonjour
Le carré blanc de Mérédith Le Dez fait bien entendu penser à celui de Kasimir Malevitch, peint en 1918 et qui révolutionna l’art moderne. L’ami Julien Blaine y a pensé en m’envoyant une reproduction de l’œuvre, visible au MoMa de New York.
Le blanc renvoie aussi, non à son contraire, mais à son complémentaire : le noir. Alors, léger saut dans le temps alors que depuis le premier Poème pour tenir le coup je reste dans le contemporain.
LÉON GONTRAN DAMAS, né en 1912 en Guyane décédé en 1978, est le moins connu des mousquetaires de la Négritude, mais certainement le plus accessible, par sa langue directe, sans concessions, faussement simple, loin de l’ésotérisme parfois abscons de Césaire ou du classicisme renouvelé de Senghor.
Riche de ses origines amérindiennes, européennes et africaines, il peut écrire : « Trois fleuves coulent dans mes veines » (Black-Label, Gallimard, 1956).
Blanchi est un des poèmes essentiels de Pigments, son premier recueil, préfacé par son ami Robert Desnos, et œuvre-phare du mouvement de la Négritude.

BLANCHI

Pour Christiane et Aliouane Diop*

Se peut-il donc qu’ils osent
me traiter de blanchi
alors que tout en moi
aspire à n’être que nègre
autant que mon Afrique
qu’ils ont cambriolée

Blanchi

Abominable injure
qu’ils me paieront fort cher
quand mon Afrique
qu’ils ont cambriolée
voudra la paix la paix rien que
la paix

Blanchi

Ma haine grossit en marge
de leur scélératesse
en marge
des coups de fusil
en marge
des coups de roulis
des négriers
des cargaisons fétides de l’esclavage cruel

Blanchi

Ma haine grossit en marge
de la culture
en marge
des théories
en marge des bavardages
dont on a cru devoir me bourrer au berceau
alors que tout aspire en moi à n’être que nègre
autant que mon Afrique qu’ils ont cambriolée

In Pigments, éd. Guy Levis Mano, 1937 ; éd. Présence africaine, 1972

* Aliouane Diop (1910-1980) sera, en 1947, le fondateur de la revue Présence africaine, et en 1949, des éditions du même nom.

POÈME POUR TENIR LE COUP #14

Bonjour
Hier, Léon Gontran Damas nous renvoyait à l’Afrique, où nous avons déjà croisé Tanella Boni. ANANDA DEVI est mauricienne.

Six décennies et je l’admets
Je refuse tout ce qui interdit les sens

Tout ce qui nous embourbe
Nous entourbe
Nous réduit à moins que nous-mêmes

La nature nous a construits autres
Joyeux et généreux

C’est là le ravissement de l’incertain
Le reniement de tout ce qui nous encastre
Et nous empêche d’être
Le simple fait d’une joie
D’une tendresse
D’un orgasme rieur

Je ne veux d’aucun masque
Aucune voile
Aucune croyance
Qui m’interdise d’être

Vraiment ? me dit-il
Peux-tu le prouver tout de suite ?

Et j’ai ri

Ne ferme pas la porte contre l’orgasme qui s’annonce
Ni ses fêlures ni sa vigueur
Laisse monter la marée du sang
Qui ravage l’ordinaire
Toute terreur est propice
À l’agenouillement propitiatoire

Ainsi a-t-il parlé

Ananda Devi est née sur l’Île Maurice, en 1957, de parents d’origine indienne. Prix des Cinq-Continents et Prix Louis Guilloux, ses romans sont publiés chez Gallimard et Grasset, ses poèmes aux éditions Bruno Doucey (Quand la nuit consent à me parler ; Ceux du large ; Danser sur tes braises).

« Par la force et la violence des mots, elle se dresse contre toute forme de rejet et propose un véritable engagement de l’imaginaire insulaire pour la reconnaissance de l’altérité. » (V. Bragard, site ile-en-ile.org).