Elle attend
Elle attend
le front brûlant à la fenêtre
le froid glacé apaise la fièvre
Hurler
comme la bête qui sent venir la mort
pleurer
comme l’enfant apeuré que l’amour seul peut apaiser
Insondable fragilité
lorsque les heures comptent double
chaque jour jeté sur elle l’ensevelit
le ciel noyé dans ses larmes
Dans la prison de la souffrance
elle choisit la lutte
celle de David contre Goliath
celle du pot de terre contre le pot de fer
Son arme
une écriture qui blessera comme les épines
une écriture brûlante qui dénoncera
qui accusera qui réveillera les consciences
Les mots accumulés en lignes droites
serrées les une contre les autres
seront leurs barbelés
les barreaux de leur prison
Au bord de son temps compté
au-dessus du vide de sa jeunesse
sa mort la privera du sourire
d’avoir gagné son combat
Magda Igyarto, « Des graines germeront sur leurs pas »,
éd. le petit Véhicule, 2017
Rosa Parks
Vie-mémoire d’un passé-misère
d’un passé-poussière
Des ruisseaux de larmes déferlent
sur les dos voûtés de honte
ravivent la mémoire-ancêtre
d’un exil sombre
Sa vie éclat d’une mémoire
blessure dans son âme
creuse sa chair brûlant sa peau d’ébène
Son regard fier transfigure la nuit en aurore
défie des siècles injustes où les lanières
des fouets pliaient la volonté des siens
Du refus d’obéir sourd une eau douce
sur les braises incandescentes
Son refus enflamme déjà demain
fissure en tessons de lumière l’enfer et la haine
chante la dignité retrouvée des siens debout
Dans les sentiers de cendre elle dresse
sa force tranquille face au pouvoir indigne
soulève une brise légère bientôt houle tempête
ouvrant toutes grandes les portes de l’espoir
Magda Igyarto, inédit 2018
Lave ton regard
Tes yeux me regardent
assombris de pitié lourde à porter
parfois compassion mépris ou déni
Tes yeux me regardent rivés
à mon apparence à ma différence
privés du feu qu’embrase mon cœur en émoi
Tes yeux me regardent soulignent durs
les divergences sans voir en moi ton autre
miroir par le coeur par l’esprit
Tes yeux me regardent discernent la nuit
et non la lumière l’ombre et non le soleil
le chagrin et non la joie
J’attends ton pas vers moi ton frère
Comme toi mon cœur rit souffre aime espère
comme toi ma tête pense imagine crée désespère
Affamé de dignité d’estime simplement de respect
écoute les battements de la vie qui vibre palpite insuffle
force et désir dans mes veines dans mes rêves
Je ne sème ni violence ni haine ni misère ni peur
je sème confiance volonté persévérance douceur
Pour survivre j’ai respiré l’infime éclat de rire
apprécié le subtil regard de lumière la fragile beauté
des choses aimé mon chemin parsemé de ronces
qu’un seul sourire transforme en roses
Je me suis nourri de l’amour des miens du soutien
d’une main tendue pour aller plus loin
d’un rayon de soleil du chant de l’oiseau de la vie même
Comme Grand corps malade Emmanuelle Laborit
Pascal Duquesne Beethoven Django Reinhart Ray Charles
Vic Chesnutt et tant d’autres j’ai affronté
chaque seconde à vivre avec un corps trop lourd
sourd à mes appels quand le cœur crie au secours
tant la soif d’être tant la faim d’aimer le consume
J’ai accepté l’essentiel comme un cadeau j’ai accepté
ce qui m’a été donné sans rancœur goutte d’eau
parmi les autres gouttes d’eau de l’océan de la vie
confiant d’être unique comme tous les êtres vivants
confiant d’apporter ma part d’humain à l’humanité
Lave ton regard et découvre l’être que je suis
Magda Igyarto, 2019, inédit
Il y a la vie à vivre
La vie à boire jusqu’à la lie
La vie à palpiter jusqu’au délire
La vie à respirer en fragrances infinies
La vie à brûler dans l’urgence
La vie à planer dans l’immense
La vie à combattre dans la fange La vie à subir dans la souffrance
Il y a la vie à vivre dans sa fragilité incandescente
sa détresse fréquente sa liesse comme un présent
La vie sur cette route parfois déroute qui n’appartient qu’à moi
unique comme chaque flocon de neige comme chaque grain de sable
Cette vie si douce si dure si désirable si haïssable
cette vie qui s’engloutit dans les abysses sordides cette vie qui aspire à la pureté cristalline
cette fleur de vie cette chienne de vie qui s’enivre de rêve qui plonge dans l’amour comme dans la mort
où le cœur agonise de désespoir de déshérence
Cette vie je l’embrasse avec ses fêlures ses voiles toutes dehors ses amarres brisées ses carreaux cassés
ses fanions déchirés ses heures creuses ses minutes lumineuses ses plages d’attente ses vagues de larmes ses désirs insensés ses fous rires ses amours passionnées son silence sa paix profonde
Cette vie je l’embrasse
avec la tendresse pour l’autre
la richesse dans le partage
la communion dans la beauté
Cette vie je l’embrasse avec la soif inextinguible de verser dans la coupe du monde ma part d’amour et d’humanité
Magda IGYARTO, 2019, inédit.