HISTOIRE-GEOGRAPHIE ET NUMERIQUE
De la lecture profonde à la lecture sur écran :
Quelle nouvelle façon de lire dans le monde numérique ?
Comment repère-t-on l’information et construit-on le sens sur les nouveaux supports ?

 

Communication lors du 2nd colloque "Ecriture et Technologie"

 

Histoire et Géographie : deux matières dont l'enseignement a été associé en France tant leurs finalités sont les mêmes pour le jeune. Toutefois, elles conservent leurs propres démarches scientifiques, et en particulier, dans le traitement du document.

En Géographie, la carte est centrale ; outil du géographe dans sa technique et sa pratique, elle est aussi sa production scientifique. Une carte est en effet, le résultat de ses recherches et l'interprétation finale du territoire étudié. Pour l'historien, le document est tout au contraire son point de départ, sa source. Des sources soit archéologiques, soit documentaires, dans tous les cas bien antérieures au numérique.

Car le troisième paramètre à entrer en ligne de compte dans notre problématique aujourd'hui est le numérique. Ce sont les géographes qui s'en sont emparé les premiers dans les années 90, en particulier pour le traitement de données statistiques dans le but de produire rapidement une carte propre, avec un travail de seuillage des données beaucoup plus aisé. De données statistiques, nous en sommes aujourd'hui au traitement de données plus complexes d'informations géographiques, que nous traitons à l'aide de logiciels SIG. Ces gros logiciels deviennent de plus en plus simples d'accès, avec une application comme Edugéo par exemple pour l'enseignement de la Géographie. En Histoire, l'attrait du numérique est moins évident... et pour cause. L'interprétation historique n'a aucunement besoin du numérique. Il s'en servira alors marginalement dans l'analyse fine d'une source, une œuvre d'art par exemple, ou bien pour le maniement d'outils tels que la carte ou la frise chronologique à la manière du géographe.

Quel apport et quels usages du numérique donc, dans le traitement des documents pour enseigner l'Histoire-Géographie dans le secondaire ?

 

I- Les évolutions du métier d'enseignant liées à l'introduction du numérique

II- Les usages du document numérique dans l'enseignement

 

 

 

 

 

 

 

 

I- Les évolutions du métier d'enseignant liées à l'introduction du numérique

Traditionnellement, le métier d'enseignant est lié à la transmission de connaissances. Avec la professionnalisation, est venu s'ajouter une technique, certes personnelle et fille de l'expérience : la pédagogie. Mais dans l’inconscient collectif, le professeur est toujours « celui qui sait »... Preuve en est, après avoir passé une dizaine d'année à enseigner en collège, mon arrivée au lycée m'a plusieurs fois été commentée de la manière suivante : « Alors, ça y est ! Belle promotion... ». Ce à quoi je répondais invariablement et amusé que ce n'était pas une promotion, que je ne savais pas plus de choses pour autant et que je continuais à faire le même métier.

L'arrivée d'Internet a changé considérablement la donne : D'un clic sur wikipédia ou google de son i-phone, tout est à portée de main. L'élève ne perçoit donc plus l'impérieuse nécessité d'apprendre. Double peine pour l'enseignant, cette évolution concorde avec une société toute tournée vers le culte de la réussite personnelle mesurée à l'aune du seul compte bancaire.

Pourtant, très vite des enseignants se sont emparés de ces « nouvelles » technologies, et ont su adapter leur enseignement et instrumentaliser ce qui leur était maintenant mis en ligne. Qu'en retenir ? Dans un premier temps, face à la profusion d'informations, l'absolue nécessité de travailler sur la critique du document encore plus qu'avant - critiquer la source, déceler l'auteur, pour en cerner la fiabilité. Puis, amener peu à peu l'élève à prendre conscience de l'obligation pour lui de quelques connaissances, de savoir recouper les informations et, au final, maîtriser le fil d'une réflexion propre afin de ne pas être manipulé. Il n'y a donc pas de lecture « profonde » parce que c'est papier, et « superficielle » parce que c'est écran, mais un autre mode de pensée et d'apprentissage qui se met en place, butinant d'un média à l'autre, pour se créer une réflexion personnelle et autonome, tandis que la lecture-papier contraignait à suivre (ou pas...) la pensée de l'auteur. Déplacement de curseur donc chez l'enseignant, devant aujourd'hui mettre davantage l'accent sur l'apprentissage et le développement d'une réflexion personnelle à partir de quelques connaissances, plutôt que d'empiler celles-ci. D'aucuns s'en chagrineront, et pourtant quelle ambition ! Les épreuves du baccalauréat vont d'ailleurs en ce sens.

Qu'en est-il alors du statut du document dans une leçon ? Beaucoup d'écoles en ce domaine... voire de chapelles. Pour ma part et simplement, je dirais que le document dans nos matières cesse peu à peu d'être pris comme source d'enseignements, pour devenir une base de réflexion plus générale. La pratique de « l'étude de cas » l'illustre par exemple, prônant l'étude d'un exemple concret pour ensuite le modéliser et le problématiser avec quelques connaissances. Cette démarche correspond ainsi à la pratique du numérique : un ou des cas concrets en informations butinées au gré d'une navigation, puis dans un second temps, une synthèse problématisée sur le sujet, synthèse devenue impérative si l'on veut donner du sens à l'ensemble.

Que devient l'enseignant alors ? Il est moins « celui qui sait ». D'ailleurs, les élèves ne manquent pas une occasion de vous le rappeler à la moindre défaillance de votre part. S'il est, et doit rester, un spécialiste de sa matière, l'enseignant ne pourra pas rivaliser de toutes manières avec l'encyclopédisme de la toile. Par contre, il est toujours celui qui maîtrise le mieux la réflexion, le maniement des idées, les techniques d'écritures, bref le rhéteur, l'intellectuel. Ainsi, l'enseignant s'impose par le choix qu'il fait des documents, par leur maniement et ce, en fonction d'une problématique préétablie à laquelle il répond. Un enseignement plus technique, plus réflexif en somme, et moins quantitatif. Ainsi, l'objectif de l'enseignant devient l'apprentissage du « lisible complexe » dans le monde numérique dans lequel nous baignons. Apprendre à lire et à écrire afin de décoder l'information et d'en produire à son tour, mais aussi dans le secondaire, apprendre à naviguer et à organiser afin de critiquer, hiérarchiser, recouper l'information disparate et élaborer sa propre pensée. Tel est l'enjeu.

Le récent ouvrage de Franck Frommer sur la powerpointisation du monde1 nous alerte d'ailleurs sur un des dangers lié à la présentation des documents. Selon cet auteur, PowerPoint réduit la pensée, assèche la réflexion et l’échange, simplifie à outrance les idées, maquille les informations et transforme la moindre présentation en spectacle. En outre, il fait coïncider l'arrivée de PowerPoint en 1987 avec le management de projet dans l'entreprise, qui suppose les échanges, la multiplication des réunions... la transversalité. Du management de projet à la pédagogie de projet... il n'y a qu'un pas. À l’École justement, Powerpoint a remplacé les transparents depuis le milieu des années 1990. Remarque de formatrice dans l'ouvrage : "l'outil renvoie à une question : qui occupe la position centrale entre l'acteur et le support ? Que ce soit dans une relation pédagogique, une relation d'influence ou pour convaincre. Est-ce l'outil ? Est-ce l'acteur ? Si l'acteur se place en position centrale, l'outil peut être bien utilisé. Si, en revanche, la place centrale est laissée à l'outil, il la prendra et l'acteur ne se rendra pus compte que c'est l'outil qui manage la réunion." Et l'auteur d'ajouter un peu plus loin : "Avec PowerPoint le public ne se trouve à aucun moment dans une relation d'identification, de cocréation, d'interaction affective et cognitive. Il assiste comme un spectateur et ne participe pas comme acteur. Son apprentissage est fragilisé parce qu'il ne s'y investit pas." Le rôle de l'enseignant doit donc rester central. Nous devons en effet garder la main sur l'inflation documentaire sans aucun sens ni problématisation. Notre rôle est bien là, sans se laisser supplanter par une dérive techniciste et stérile. Sans quoi, l'apprentissage de la construction d'un savoir autonome s'évanouit au profit d'une dangereuse inertie de l'élève et du citoyen.

Même l'approche purement psychanalytique conforte d'ailleurs cette thèse. Donald Winnicott2, psychanalyste et pédiatre anglais n'a cessé de le répéter : le Sujet doit retrouver l'objet, le créer dans un espace transitionnel de créativité qui procède de la relation avec l'autre. Il y a cette dimension de participation active du sujet pour se représenter les choses, les concepts, le monde, qui ne doit pas lui être montré en parasitant son imaginaire. L'existence de l'individu, son sentiment de prise sur le monde, dépend de cette création personnelle. Une forme d'humanisme ?

Pour autant, nous avons tous fait un jour ou l'autre un PowerPoint avec trop de documents... la tentation est grande. Cependant, un PowerPoint pédagogiquement efficace se borne, comme dans une leçon classique, à un ou deux documents au service d'une démarche réflexive. L'avantage du numérique réside alors en deux points : Premièrement, une extraordinaire banque de données présente sur le web. Une bibliothèque universelle dans laquelle le professionnel aura la capacité de sélectionner le document susceptible de servir sa démonstration. De l'abondance, mais aussi de la variété (textes, images, vidéos, sons...), de la rapidité et de la facilité d'accès : une révolution. Deuxièmement, les techniques de lectures, de critique, de recueil d'information sont facilitées par l'affichage, le découpage, la déconstruction du document à des fins d'analyse que nous permettent différents logiciels. C'est ainsi le cas d'un paysage en Géographie, ou d'une œuvre d'art en Histoire, jusqu'à la production finale et réfléchie de l'élève qui peut être un paragraphe de synthèse de la séance comme un croquis interprétatif.

Pour ce qui est de la modélisation, autre travers que l'usage du numérique encourage, l'enseignement secondaire s'y adonne plus volontiers comme nous l'avons vu plus haut. Ce n'est que dans le supérieur qu'on pratiquera la complexité. Pour autant, nos collègues de sciences généralisent leurs « tâches complexes » aujourd'hui, et nos programmes en Histoire-Géographie font également de plus en plus de recoupements et mises en perspective. Notre ambition doit être là. La technique de composition au baccalauréat dans nos matières plus littéraires permet également à une partie de toucher à la complexité. Mais cela reste bien modeste. C'est un autre article3 cité par F. Frommer qui attire notre attention sur la question. "L'intérêt pour la modélisation tient à ses effets simplificateurs rassurants. Qu'est-ce qu'un modèle ? "Une représentation d'une système concret ou réel par un objet formel qui permet de penser le réel mais aussi d'agir sur lui. Les trois caractéristiques essentielles sont : 1/ son réductionnisme (seules quelques caractéristiques du réel son saisies dans le modèle : 2/ son parti pris (la représentation est orientée par les outils de l'observation et de la pensée théorique, mais aussi par les objectifs du modélisateur) ; enfin 3/ sa réversibilité : le modèle doit être à la fois abstraction d'une réalité préexistante et prototype ou support d'une construction à venir, il peut être l'original ou la copie, l'archétype ou la réalisation." Effectivement, l'enseignement a ce souci de simplification et de parti pris ; d'où le succès du PowerPoint. Mais il doit être capable de le dépasser comme nous l'avons vu plus haut, afin de permettre à l'élève d'accéder peu à peu à l'autonomie et à la complexité.

 

 

 

 

 

II- Les usages du document numérique dans l'enseignement - Atelier

 

Premier type de document visé par notre problématique aujourd'hui : le texte. Quels sont donc les apports et les freins à la lecture à l'écran ? Lecture collective de textes en frontal avec un outil tel que le TNI par exemple ; lecture individuelle à l'écran depuis son poste ou son i-phone ; le texte dans les manuels numériques.

(…)

Afin de développer les usages du numérique en Histoire, matière pour laquelle nous avons pu expliquer le retard, le Ministère fait travailler 13 académies cette année depuis le 30 septembre 2010 dans des travaux académiques mutualisés (TRAAM). Cette réflexion interacadémique vise à proposer des pistes pédagogiques sur l'utilisation par les élèves et les enseignants du numérique en histoire : la frise chronologique et la carte... Quels usages ? Quel apport des ressources et des outils numériques ? Quelles stratégies pédagogiques ? Trois dimensions sont étudiées tout particulièrement : 1/les dynamiques spatiale et temporelle - l'apport du numérique pour aborder les notions de rupture et de continuité, de changement d'échelle de temps ou temporalités, les notions d'évolution et de simultanéité. 2/les dynamiques graphiques - l'apport du numérique dans la construction de la légende, dans les choix graphiques et les représentations. 3/les dynamiques pédagogiques - l'apport du numérique par rapport aux situations de classe, au changement de langages (passage texte, images, données, et traduction cartographique ou représentation chronologique).

(…)

Troisième type de documents abordé dans nos enseignements : la lecture de documents iconographiques, dans le cadre de l'enseignement de l'Histoire des arts, maintenant individualisé et entrant dans le socle commun des compétences du collégien. Déconstruction et analyse d'une œuvre d'art via le diaporama.

(…)

Quatrième et dernier type de travail : la lecture de paysage et/ou de cartes et la construction de croquis à l'écran. Nous le verrons plus complètement demain dans le cadre d'un autre atelier avec l'application Edugéo, mais l'apport du numérique en la matière est important.

 

 

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Philippe BRIAND
Professeur-Formateur Histoire-Géographie
Lycée PM. Curie de Menton

Interlocuteur Académique TICE – Nice

 

 

 

1Franck Frommer, « La pensée PowerPoint - Enquête sur ce logiciel qui rend stupide » , Paris La Découverte, 2010

2Donald Winnicott, « Jeu et réalité, l'espace potentiel », Gallimard, 1975 (Playing and Reality, 1971),rééd.folio 2004

3M. Armatte et A. Dahan-Dalmelico, "Modèles et modélisations 1950-2000 : nouvelles pratiques, nouveaux enjeux", in Revue d'histoire des sciences, vol. 57, n°2, 2004, p. 245