TRAAM EMI : Création d’un jeu d’évasion Latin Documentation Lycée Simone Veil

Jeu d’évasion Latin Documentation Lycée Simone Veil

Dans le cadre des travaux académiques mutualisés 2018-2019 sur la thématique de la Pédagogie par le jeu conduits par Caroline Soubic et Géraldine Rouard, un travail a été entamé autour de la problématique suivante : Jeux sérieux, jeux d’évasion, ludification. Travailler avec les jeux et/ou concevoir en interdisciplinarité des dispositifs ludiques pour les apprentissages : quelles compétences en éducation aux médias et à l’information ?

Ce travail est le fruit d’une collaboration entre la professeure de lettres classiques, Julie Hugues et le professeur documentaliste, Jean-Christophe Boj

Nous avons choisi d’explorer les pistes suivantes :

En quoi le jeu d’évasion peut-il être une production pédagogique d’élèves ? Quelles sont les compétences à mettre en œuvre afin de concevoir un escape game/ jeu d’évasion ?

1) Constats et objectifs :

L’objectif est de mettre en place une méthodologie afin d’accompagner les élèves dans la création d’un jeu d’évasion. Quelles sont les compétences à mettre en œuvre afin de concevoir un escape game/ jeu d’évasion ? Le projet est né de la rencontre de plusieurs constats. D’une part, les latinistes de 1ère du lycée Simone Veil sont en nombre restreint (seulement six pour la promotion de cette année) : l’idée était donc de donner de la visibilité à cette option tout en valorisant les élèves qui, suivant une option facultative, effectuent des heures supplémentaires par rapport à la majorité de leurs camarades. De plus, en faisant connaître ce jeu pédagogique aux collégiens du secteur, l’intérêt est de promouvoir l’option pas seulement au sein du lycée, mais aussi auprès de ces collèges. D’autre part, le CDI, par sa localisation au sein du lycée, par l’importance de ses fonds variés et par les projets qui y sont régulièrement menés, constitue une zone essentielle du lycée, si ce n’est le cœur intellectuel. Il apparaissait donc évident que le jeu d’évasion devait se faire au CDI.

2) Expérimentation :

Ce projet s’inscrit à la fois dans la progression des latinistes en classe de première mais aussi dans la liaison collège-lycée mise en place avec les établissements du secteur. L’expérimentation s’articule autour de deux points essentiels. Le premier point est l’élaboration par les élèves de première , d’un jeu d’évasion dans le cadre de leur enseignement de latin. De fait, en cours d’année, ces latinistes ont travaillé sur la magie dans l’Antiquité, à travers le roman latin d’Apulée Les Métamorphoses. De là, le thème s’est élargi au changement de forme dans l’Antiquité pour en arriver aux êtres fantastiques hybrides (comme les sirènes), parmi lesquelles la Sphynge, cette créature mythologique mi-femme, mi-lion et ailée. Dans l’optique d’éviter le cours magistral mais aussi l’exposé qui mettrait essentiellement à contribution un, voire deux élèves, les recherches collaboratives ont un intérêt majeur. Le second point est la visite des élèves de troisième en latin-grec, des collèges du Rouret, Valbonne, Biot et Roquefort les Pins. Dans le cadre de la liaison collège-lycée, ces élèves et leurs professeurs ont été conviés au lycée afin de le visiter et de découvrir l’option latin-grec. Au cours de la visite du lycée et du passage obligé au CDI, les collégiens ont participé à l’escape game au CDI, sans en avoir été avertis au préalable. Ménager l’effet de surprise était important pour dynamiser le jeu sans pour autant risquer de décevoir les collégiens s’ils l’avaient attendu. De plus, les élèves de 1ère étaient présents lors des visites et faisaient partie du « décor », ce qui permettait également de montrer le dynamisme de l’option latin-grec au lycée Simone Veil. Enfin, les collégiens ont ainsi eu l’occasion de parcourir minutieusement le CDI et de se familiariser avec ce lieu clef de l’établissement. À l’issue du jeu, leur est remis un diplôme certifiant qu’ils peuvent passer au lycée, le jeu leur ayant permis de s’approprier le CDI.

3) L’élaboration du jeu d’évasion.

Qu’est ce qu’un escape game ?

« Un escape game est un jeu d’évasion grandeur nature, au scenario subtil, où une équipe de 2 à 6 joueurs doit résoudre des énigmes dans un temps limité. »

Par Henri Dassonneville, Dimitri Saputa et Anthony Straub, groupe d’innovation « Numérique et pédagogies Actives », SEPIA, Académie de Lille.

Il est nécessaire d’avoir un Game master, un maître du jeu, qui est le chef d’orchestre pendant le temps de jeu. Les enseignants qui encadrent le projet jouent le rôle de maîtres du jeu, que ce soit pendant la création de l’escape game ou pendant le jeu lui-même.

Scénario :

Les élèves de 1ère latinistes créent un escape game dans le CDI avec des énigmes et une trame créées par eux. Il s’agit d’inviter un groupe d’élèves (latinistes et hellénistes de 2nde et collégiens de 3e latinistes du secteur, dans le cadre de la liaison collège-lycée) à venir visualiser un exposé sous format vidéo autour du mythe de la Sphynge dans la Grèce antique. La vidéo prend d’abord l’aspect d’un exposé classique quand soudain, le personnage de la Sphynge apparaît et annonce aux élèves qu’ils sont enfermés dans le CDI. Afin de s’évader, les élèves devront résoudre différentes énigmes proposées par les élèves de 1ère latinistes.

Elaboration et réalisation du jeu d’évasion avec les élèves de premières en latin

Séance 1 : Présentation du projet et réflexion sur le scénario du jeu. Aidés par la professeure de lettres classiques et le professeur documentaliste, les élèves s’approprient le CDI. Ils se questionnent sur l’utilisation des différents espaces (salles de travail, espace des documentaires, espaces des fictions…) et ils mettent en place un scénario pour le jeu d’évasion après une séance de brainstorming. Les élèvent décident d’élaborer le jeu autour du mythe du Sphynx / de la Sphynge.

Séance 2 : Recherches documentaires via le portail E-sidoc et répartition des énigmes. Afin de réaliser les énigmes, les élèvent effectuent des recherches documentaires sur E-sidoc et sur les moteurs de recherches autour du mythe de la Sphynge, mais ils effectuent également des recherches plus larges en fonction de leur propre énigme (par exemple, l’une des énigmes est constituée d’une succession de questions faisant appel à la culture littéraire et historique des élèves, il a donc fallu vérifier tous les éléments).

Séances 3 et 4 : Réflexion et création des énigmes. Les élèves ont créé huit énigmes, chacune menant à une lettre. L’ensemble des lettres constitue le mot LIBERTAS en latin, mot à indiquer à l’un des élèves de 1ère qui reste à l’entrée du CDI, en gardien du temple. Les informations et documents étant fort nombreux dans le CDI, nous avons fait le choix de baliser tout ce qui avait trait au jeu d’évasion par des vignettes représentant la sphynge afin de ne pas égarer les élèves.

Pour chaque lettre, les énigmes à résoudre sont les suivantes :

L : Pour parvenir à la lettre L, les joueurs doivent répondre à sept questions successives, chacune étant indiquée sur un carton (les cartons sont numérotés de I à VII) et chaque réponse conduisant à un espace précis du CDI (revues, livres, etc…). Le premier carton est déposé sur une table du CDI. Pour réaliser cette énigme, les élèves ont dû se servir d’E-sidoc pour faire des recherches historiques et littéraires. Comme l’on voit sur la photographie, chaque carton porte la vignette de la Sphynge.

 

I : Une feuille ou un cahier d’élève est laissée sur une table de travail du CDI avec une calculatrice juste à côté. Lorsque les joueurs entrent dans le CDI, un élève de 1ère latiniste feint de faire des opérations mathématiques sur sa feuille. Au lancement de la vidéo, il s’éclipse et les joueurs pourront découvrir que cette feuille est une succession de calculs qui vont leur permettre de découvrir la cote d’un livre, la page, la ligne et enfin le numéro de la lettre.

B : À l’aide d’E-sidoc, les joueurs doivent trouver un livre (photo ci-dessous) ainsi qu’un carton dans lequel de petits trous ont été découpés. Ce carton placé sur la bonne page du bon livre (auquel les joueurs parviennent après leurs recherches dans le CDI) permet de faire apparaître le mot Bêta, autrement dit la lettre B en grec.

E : Cette énigme fait appel au numérique. Pour les lettres E et T, les joueurs doivent rentrer des mots de passe sur l’un des ordinateurs du CDI, mots de passe qu’ils trouvent après avoir résolu des énigmes sur cet ordinateur. Pour les résoudre, ils peuvent faire des recherches sur un autre ordinateur. Pour la lettre E, l’énigme est un tableau représentant la reddition de Vercingétorix devant César. Le mot à trouver est Alésia. Pour la lettre T, apparaît une traduction latine d’un extrait de Harry Potter et les joueurs doivent retrouver comment se dit miroir en latin (speculum).

R : Un avis de recherche est affiché sur l’un des murs du CDI. Il indique qu’un livre essentiel et imposant par sa taille sur la mythologie a été égaré. Il est caché sur l’une des étagères. À l’intérieur se trouve une page sur laquelle une énigme est écrite au jus de citron. Il faut la déchiffrer à la lumière et elle mène à la lettre R.

 

 

T : Voir énigme pour la lettre E

A : Dans l’une des salles de travail du CDI qui dispose d’un tableau blanc, un jeu de mots croisés est écrit au tableau. Les mots à retrouver sont en latin et leur définition est indiquée à droite du tableau. En cochant les mots sur la grille, la lettre A apparaît. Comme cela apparaît sur la photographie ci-dessous, les élèves de 1ère étaient costumés en toge pour donner une atmosphère plus antique au jeu et plonger davantage les joueurs dans l’esprit du jeu.

 

S : La lettre S est à découvrir grâce à une superposition de plusieurs feuilles de papier calque sur lesquelles ont été imprimés des morceaux d’un S calligraphié dans un manuscrit médiéval. Les élèves de 1ère avaient eu une formation à la paléographie faite par leur professeure de lettres classiques au CDI avec le professeur documentaliste. Les papiers calque sont disséminés dans tout le CDI, de manière plus ou moins visible.

Faux indice : En plus de ces indices, les élèves pourront découvrir un portrait de Néron accompagné de la question « Qui suis-je ? ». Mais il s’agit d’un faux indice, ne menant à rien.

Séance 5 : Réalisation de la vidéo.

Pour réaliser la vidéo, les élèves ont dû faire des recherches au CDI sur le mythe de la Sphynge et d’abord créer un exposé traditionnel, relativement scolaire appuyé par des photographies d’œuvres d’art antiques représentant la Sphynge. Puis, ils se sont enregistrés et ont dû écrire une courte partie du texte prononcé par la Sphynge en latin (exercice de thème latin).

Séance 6 : Test de l’escape room avec les secondes latinistes-hellénistes et bilan.

Les énigmes demandent que les joueurs se familiarisent avec l’utilisation d’E-sidoc et la recherche documentaire sur les ordinateurs du CDI. Si cela a pris quelques minutes à se mettre en place, les élèves de 2nde ont rapidement été mis en confiance par le principe du jeu. Le groupe a travaillé ensemble de façon organisée et les réflexions ont été mutualisées. L’usage du numérique a également permis aux élèves de se sentir en confiance et de mettre à profit leurs connaissances relatives à l’Antiquité gréco-romaine.

Certains points ont dû être revus : une erreur de calcul dans la feuille de mathématiques a dû être reprise et les calculs ont été simplifiés. De même, la vidéo a été modifiée afin que la Sphynge apparaisse à plusieurs reprises (au bout de 20 minutes, 25 et à quelques minutes de la fin) afin de relancer le suspense et de stimuler les joueurs.

De même, il est apparu que les créateurs du jeu devaient davantage faire partie du décor de l’escape game. C’est pourquoi, pour la venue des collégiens, les premières latinistes sont vêtus de toges et peuvent délivrer de faux indices, jouer le jeu de personnages enfermés, donner des indications si à certains moments les joueurs semblent bloquer et surtout rajouter une évasion dans l’évasion.

De fait, les collégiens sont plus nombreux que les secondes (ces derniers étaient sept alors que les collégiens sont entre huit et treize). C’est pourquoi il a été décidé qu’au cours de la partie de la vidéo qui correspond à l’exposé traditionnel, deux élèves de 1ère enlèvent le professeur accompagnateur des collégiens pour l’enfermer dans une salle de travail du CDI dont la cloison est vitrée. Donc, pour pouvoir être plus efficaces en groupe complet, les joueurs doivent d’abord libérer leur professeur.

Pour ce faire, voici l’énigme à résoudre pour libérer le professeur, en lien direct avec le numérique et la documentation.

 

Sur la porte de la petite salle en question est affichée une phrase comprenant deux mots mis en valeur graphiquement et une affiche E-sidoc est collée en dessous.

Ces deux mots mis en caractères gras sont les deux mots clefs à entrer sur l’ordinateur juste à côté de la porte déjà ouvert sur E-sidoc.

 

Or, une fois que l’on entre “clef” et “serrure” dans la barre de recherche, un seul résultat apparaît :

Les joueurs doivent donc aller chercher le livre en question dans le CDI et la clef se trouve cachée à l’intérieur…

Cet escape game dans l’escape game a été une réussite, même si le premier groupe de collégiens à le tester a d’abord longuement délaissé son professeur…

4/ Retours sur le projet

La dimension réflexive de ce projet se fait sur la base de deux éléments : à la fois du point de vue des élèves de première qui ont participé à la création de l’escape game et du point de vue des élèves qui ont joué.

Du côté des élèves de première, nous avons pu constater une forte implication dans le projet, notamment parce qu’ils se sentaient valorisés par l’autonomie qui leur était donnée et le plaisir de pouvoir réinvestir des connaissances personnelles. Bien plus, leur forte implication a pu leur faire prendre conscience de certains enjeux du métier professoral : ils étaient à la fois inquiets et impatients de voir si ce qu’ils avaient préparé allait intéresser les joueurs. L’une des élèves de première a même fait d’elle-même le rapprochement, en suggérant que c’était ce que devait ressentir un professeur qui prenait beaucoup d’énergie et de temps pour préparer une séance.

Quant aux collégiens (et aux élèves de 2nde qui ont testé le jeu), au-delà du plaisir du jeu, ils ont pu faire preuve d’autonomie dans le CDI. Ils s’y sont sentis plus à l’aise et cela leur a permis de se sentir plus en confiance et de mieux connaître le CDI. Dans le cadre de la liaison collège-lycée, c’est un point qui nous paraît essentiel puisque les futurs lycéens passeront beaucoup de temps au CDI dans le cadre de leurs travaux, de leurs cours, mais aussi par plaisir. Pour la rentrée prochaine, ce sera déjà un point de repère sûr qui les mettra en confiance puisqu’ils y auront déjà passé plus d’une heure, en l’arpentant dans tous les sens. De plus, les joueurs ont dû s’entraider, mutualiser leurs découvertes et leurs réflexions : le jeu a donc développé l’esprit de travail en groupe et l’écoute.

Enfin, aussi bien du côté des créateurs des énigmes que des joueurs, l’expérience a été bénéfique pour le gain de confiance en soi qu’elle a permis. Les élèves ont dû s’affirmer. Par exemple, un élève de première, excellent à l’écrit mais très discret à l’oral, a effectué le rôle du gardien de la porte du CDI en toge. Il devait donc dire d’une voix forte et menaçante « mot de passe » à chaque fois que les joueurs s’approchaient trop près de lui. Cet exercice ludique a été pour lui un véritable entraînement pour s’affirmer à l’oral et gagner en confiance.

Julie Hugues, professeure de lettres classiques

Jean-Christophe Boj, professeur documentaliste lycée Simone Veil

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