S’il n’est pas nécessaire de verser dans le numérique pour innover, il est incontestable que des projets pédagogiques prennent un tournant significatif avec l’introduction de l’IA générative bien pensée dans la classe. Le projet « Chroniques Alternatives », initié par Paul Fermon, professeur d’Histoire-géographie au lycée Raynouard à Brignoles (Var) et Fabien Lombard, Principal à l’École bilingue de Berkeley (USA) est un exemple concret de cette aventure. Un concours aux dimensions internationales invite les élèves à utiliser des intelligences artificielles pour créer des œuvres uchroniques, mêlant histoire et créativité numérique.
Un projet d’Histoire revisitée
Tout a commencé avec la lecture du livre de Raphaël Doan : « Si Rome n’avait pas chuté » (Ed. Passés Composés, 2023) qui présente une antiquité romaine qui aurait pris un virage industriel ! Le concours « Chroniques Alternatives » était né.
Il a pour but de stimuler l’intérêt des élèves pour l’histoire via ce qu’on appelle les « nouvelles technologies » en leur proposant de créer des récits alternatifs du passé à l’aide d’IA génératives. Les élèves doivent produire un document combinant une image générée par IA, un titre et un texte explicatif. Les œuvres peuvent prendre diverses formes : pages de journal, manuscrits, bas-reliefs, … et doivent illustrer une version alternative d’un événement historique.
Ce projet répond à des enjeux pédagogiques ambitieux. Il incite les élèves à explorer des périodes historiques variées, à développer une réflexion critique sur les sources et les représentations et à acquérir des compétences techniques et numériques assez avancées. L’IA générative, en produisant des images inspirées de différentes époques, permet d’approfondir la compréhension de l’histoire artistique et culturelle.
Un enthousiasme communicatif
Le concours a attiré une participation internationale remarquable avec 17 établissements en lice, dont 8 lycées, 6 collèges et 3 établissements supérieurs. Des institutions prestigieuses de Berkeley, San Francisco, Boston, Athènes et Sarajevo ont rejoint cette initiative témoignant de l’intérêt partagé par tous les pédagogues pour ce type de projet innovant.
Paul Fermon et Fabien Lombard, les deux créateurs du concours, ont été surpris par l’engouement suscité. Leur objectif initial était de lancer un défi interclasse, mais le succès a dépassé leurs attentes, avec plus de 90 créations soumises au jury. Jury présidé par Raphaël Doan – parrain de cette première édition, excusez du peu – qui, le 31 mai à Brignoles, apportera une expertise précieuse à l’évaluation des œuvres.
Pratiquement, en classe ?
Les professeurs jouent un rôle crucial dans ce projet en guidant les élèves à travers chaque étape. Ils aident à la sélection des périodes historiques en attirant l’attention des élèves sur des moments moins connus, organisent en amont les conditions indispensables à la réalisation, initient à l’utilisation d’outils comme Dall-E, ChatGPT, et CANVA pour la création des documents finaux.
« Le prompt, ou « la requête » en français, est l’instruction donnée à l’Intelligence artificielle. Toute la difficulté d’un travail avec l’IA générative réside dans la manière de formuler cette requête pour aboutir au résultat escompté. Un exemple de requête à une IA générative d’image comme Dall-E : « dessine-moi une jeune femme de la Renaissance en train d’utiliser un ordinateur ». Il y a fort à parier que le résultat ne sera pas du tout ce que vous aviez en tête car la requête est très ouverte : il y a des millions de possibilités. Essayez maintenant : « dessine-moi une jeune femme en train d’utiliser un ordinateur sur une table en bois à la manière des carnets de dessin de Léonard de Vinci avec du texte en arrière-plan sur un papier à gros grain », le résultat sera bien plus cadré ! L’IA vous proposera 4 créations que vous pourrez utiliser pour en générer d’autres ou pour faire varier votre prompt jusqu’à obtenir exactement le résultat escompté. On parle déjà dans les sciences informatiques du prompt engineering, une compétence qui sera très vite indispensable dans de nombreux corps de métier. » |
Inès, élève de terminale au lycée Raynouard a créé cette mosaïque pompéienne
dans le cadre du cours de latin de Mme Eymard.
Cette « collaboration » enrichit le processus d’apprentissage en modifiant la posture de l’enseignant complice d’une création singulière. Il injecte à point nommé les connaissances indispensables, suggère des pistes, réoriente, accompagne. Et il est souvent surpris par l’inventivité de jeunes qui n’avaient pas nécessairement manifesté une appétence notable en Histoire…
Quels effets sur les élèves ? Sur le plan disciplinaire, ils acquièrent incontestablement une meilleure compréhension des contextes historiques et culturels en enrichissant leur culture générale. Ils développent un regard critique sur les images générées par IA, perfectionnent leurs compétences en matière de recherche documentaire. En outre, parce qu’ils ont choisi un type d’écrit, ils doivent s’approprier les codes du genre et en maîtriser le style en respectant un équilibre subtil entre une imagination qui cultive l’anachronisme volontaire et une exigence de rationalité et de vraisemblance.
L’utilisation de l’IA en classe offre par ailleurs une occasion engageante de travailler sur des compétences transversales. Les élèves apprennent à collaborer en équipe, à gérer des projets de manière autonome et à communiquer efficacement leurs idées.
Le projet « Chroniques Alternatives » montre que l’IA peut être un outil pédagogique puissant, capable de transformer l’apprentissage en une expérience interactive et immersive. En intégrant ces technologies dans leurs pratiques, les enseignants préparent leurs élèves aux défis du futur, tout en rendant l’histoire vivante et accessible.
C’est dans cet esprit que Paul Fermon est intervenu lors de la formation du DIU des usages créatifs de l’IA de l’université Côte d’azur, sous la houlette de Laurent Heiser, et qu’il a animé un atelier remarqué avec Christine Ringenbach, professeur d’économie gestion commerciale en sections professionnelles lors de la #JAPI24 devant un public de collègues et de chefs d’établissements.
Nous saurons le 31 mai quels seront les gagnants du concours. Mais puisqu’en période olympique, on sait que l’important est de participer, gageons que tous seront mis en valeur pour leur engagement et leur créativité.
Le concours a vocation à perdurer. Donc si vous n’avez pas eu la chance d’y participer cette année, rien n’est perdu… On en reparlera !