Un espace “Performance” au CDI : rendre les élèves acteurs de leur culture et de leurs apprentissages
Construire un CDI avec les élèves et pour les élèves, en accord avec leurs attentes, favoriser les situations de communication orale, travailler sur la motivation et l’amélioration du climat scolaire.
L’idée a mûri pendant plusieurs mois, puis est rapidement devenue une évidence. Les mutations survenues depuis ces 5 dernières années dans toutes les médiathèques de tous les pays témoignent de l’évolution des pratiques chez les usagers : espaces collaboratifs, co -working, rencontres et découvertes, nouveaux services, nouvelles fonctions et donc nouveaux espaces, les lieux de documentation se définissent désormais en fonction des attentes du public et non plus en amont, selon un modèle pré -défini et forcément descendant, qui risquerait bien d’être arbitraire et parfois peu pertinent [1] …
- Comment continuer d’exister, en ces temps où le développement du numérique et le nomadisme des outils ont généralisé l’accès au savoir pour tous, partout et sur tous supports ?
- Comment dépasser la fonction de simple “bibliothèque scolaire”, forcément réductrice ?
- Comment ouvrir le CDI au plus grand nombre ?
- Comment concilier d’une part les activités purement scolaires (cours dispensés par le professeur documentaliste autour du numérique et de l’Education aux Médias et à l’Information, lecture -plaisir et projets liés à l’incitation à la lecture, sous toutes ses formes et sur tous les supports, travail individuel, révisions, etc.), activités indispensables, avec, d’autre part, des activités plus en accord avec leurs attentes, où l’élève, tout en apprenant, viendrait dans une démarche plus personnelle, basée sur l’échange, le partage, l’auto -formation ?
2. Proposer un lieu central de type “scène ouverte” à tous les acteurs dans l’établissement, élèves comme enseignants et autres personnels, un lieu qui suscite les échanges et crée du lien, dans la lignée du “CDI cœur civique de l’établissement” [2], lieu de rencontre des différentes équipes pédagogiques, lieu pivot dans lequel naissent les projets fédérateurs.
3. Favoriser la prise en compte des “talents” spécifiques des élèves (artistiques mais pas seulement), en parallèle aux compétences dites plus scolaires.
4. Proposer des situations dans lesquelles les élèves puissent expérimenter et développer des compétences de communication orale, en tant que “performers” devant organiser leur prestation et se produire, mais également en tant que public.
5. Générer un “climat scolaire” favorable aux apprentissages, faire que la vie dans l’établissement ne se limite pas uniquement aux activités purement scolaires, mais que d’autres activités puissent elles aussi devenir sources de motivation.
2. “Espace Performance : petit mode d’emploi en 5 étapes…”
- ETAPE 1 : Trouver une surface disponible dans le CDI… ou pas !
Mais si le CDI ne le permet pas, l’Espace Performance peut être ponctuel : proposé par exemple une ou deux jours par semaine ou une fois par mois, sur le créneau midi -deux ou selon les modalités qui conviennent le mieux à l’emploi du temps des élèves d’une part, et au choix défini par le professeur documentaliste, pilote du projet, l’espace peut exister à condition de le vouloir.
- ETAPE 2 : Concevoir le type d’activités à proposer :
Plusieurs domaines sont possibles : Musique, Arts plastiques, Littérature, Slam, Photographie, Cinéma, Théâtre… Selon les “talents” recensés chez les élèves, un ou plusieurs domaines seront à privilégier. Le “pré -projet” sera forcément élaboré par le professeur documentaliste qui, de par sa vision transversale de l’établissement, des personnes -ressources sur lesquelles s’appuyer (à la fois élèves et adultes), de son réseau “culturel” au sens large du terme, pourra définir un premier contenu des rencontres à proposer à tous dans cet espace.
Une fois le “pré -projet” élaboré, il sera indispensable de s’appuyer sur un groupe d’élèves “moteurs” dans l’établissement pour construire le projet plus avant, en le faisant évoluer en fonction de leurs attentes : délégués -élèves, élus du CVL en lycée, classes particulières, élèves créatifs, ou personnalités plus “discrètes” mais tout aussi porteuses…
- ETAPE 3 : Définir un calendrier et des interventions :
Dans l’espace Performance du CDI St -Ex, nous avons décidé de privilégier dans un premier temps le domaine de la Musique, principal – et parfois unique – domaine artistique (parmi les 6 domaines de l’EAC) pleinement partagé par la quasi -totalité des adolescents.
Nous avons donc repéré des élèves musiciens, soit inscrits à l’option Musique du Bac, soit pratiquant un instrument de manière plus informelle (se promenant par exemple dans les couloirs avec leur instrument, jouant devant l’établissement, etc.). Parallèlement, nous avons contacté les différentes personnes de notre réseau culturel Musique : associations d’artistes, musiciens indépendants, Conservatoire, radio locale “Mosaïque FM”, responsables du Pôle “Musiques actuelles” de la Médiathèque, etc.
Le principe de base étant le “partenariat artistique“, nous tenions à associer artistes confirmés et élèves pour un concert commun, les élèves assurant la 1ère partie du groupe plus reconnu. C’est ainsi que, de janvier à juin 2014, quatre CONCERTS “CD’IN VALLEE” se sont succédés, le jeudi de 12h à 13h30, dans l’espace Performance du CDI (voir document pdf).
- ETAPE 4 : Clarifier ses objectifs pédagogiques :
- Changer la représentation du CDI, lieu de travail essentiellement scolaire et/ou réservé à un certain type d’élèves, forcément sérieux et travailleurs.
- Inciter les élèves “faibles -lecteurs” à fréquenter et à s’approprier le lieu CDI.
- Construire avec les élèves un espace d’accueil de type “Bibliothèque 3ème lieu” répondant à leurs besoins réels, afin de favoriser implication et motivation.
- Développer des situations de mixité des publics spécifiques au lycée : filières générales / filières professionnelles / GRETA.
- Amorcer une réflexion avec les élèves sur la notion d'”engagement” via la rencontre avec le tissu associatif local.
- Proposer aux élèves un espace d’expression dans le lycée, via la musique, le slam, ou toutes autres formes d’expression artistique.
- Ouvrir l’établissement aux ressources culturelles locales.
- Faire connaître aux lycéens le vivier d’artistes issus de l’environnement culturel proche.
- Développer une culture générale des élèves en matière musicale.
- Favoriser le développement de l’esprit critique face à la diversité des expressions musicales, via la compréhension des codes et des spécificités.
- Offrir une scène potentielle aux élèves de 1ère et Tle suivant l’option Musique.
- ETAPE 5 : Communiquer !
Pour éviter que le projet soit interprété et réduit à une simple “animation”, la communication en amont est essentielle, c’est elle qui assurera la pérennité du projet.
- Auprès du chef d’établissement et des équipes pédagogiques : clarifier les objectifs pédagogiques. Rédiger un projet écrit détaillant tous les aspects, puis le présenter à l’administration, et éventuellement en Conseil Pédagogique et en Conseil d’Administration. Envoyer un mail groupé à tous les enseignants explicitant les objectifs.
- Auprès de l’intendant : lors d’un rendez -vous, expliquer les objectifs et définir ensemble les aspects logistiques (matériel à prévoir, restauration des “performers” et éventuellement du public, aide éventuelle des agents, etc.).
- Auprès de la Vie Scolaire : échanges sur les points liés à la gestion des élèves pendant la performance, formulation de l’objectif commun de valorisation des élèves.
- Auprès des élèves : impliquer le plus possible les élèves “performers” dans la logistique de préparation (réalisation des affiches, distribution des flyers dans et hors l’établissement, communication via les réseaux sociaux…). Définir également avec eux les modalités de communication à destination des autres élèves, les canaux spécifiques à utiliser, qu’ils connaissent parfois mieux que nous..
- Médias & partenaires : prévenir le journal local pour un article valorisant les élèves et les artistes, inviter un journaliste radio pour enregistrement du concert et interview des élèves et des artistes, etc. Ne pas oublier d’inviter les partenaires, réels mais aussi potentiels : Conservatoire, Médiathèque, Mairie, etc.
- Services Culturels de la Mairie : prendre rendez -vous avec l’Elu à la Culture pour lui présenter le projet (avec photos ou vidéos à l’appui), solliciter éventuellement le prêt de la scène, étudier la possibilité d’un partenariat plus “officiel” et donc pérenne.
PENDANT :
- Prévoir une couverture photo, assurée par exemple par des élèves.
- Voir également comment réaliser un enregistrement vidéo de la prestation, en s’appuyant par exemple sur des élèves ou sur une autre personne -ressource (parent, enseignant, association, Conservatoire, école audio -visuelle environnante).
- Si possible, réaliser un “teaser” à l’issu du premier concert, qui deviendra support de promotion pour les concerts ou événements suivants (voir teaser de février 2014 du premier CD’IN VALLEE du lycée Saint -Exupéry).
- Très souvent, l’énergie passée à élaborer le projet fait oublier la communication post -événementielle, pourtant essentielle : en effet, l’exercice du compte -rendu écrit, parfois fastidieux, permet de prendre du recul, de mettre à plat points forts et points faibles, et de formuler les réajustements indispensables pour la pérennisation du projet.
- Envoyer un mail “personnalisé” à tous les enseignants, ainsi qu’aux “facilitateurs” du projet, car il s’agit bien de donner du sens en fédérant tous les personnels de l’établissement autour d’une action commune centrée sur la valorisation des élèves.
- Exposer pour fidéliser : le plus rapidement possible, afficher dans l’Espace Performance lui -même les photos du concert. Eventuellement, proposer la projection de l’enregistrement vidéo ou d’extraits sur des créneaux horaires particuliers. Constituer une “mémoire du lieu”, par exemple en laissant en consultation libre un classeur rassemblant les photos de tous les concerts ou en sélectionnant sur un pan de mur les photos les plus représentatives.
1. L’adhésion des élèves a été immédiate, tant au niveau des élèves susceptibles de se produire en concert sur cette scène, que du côté des élèves “spectateurs”.
2. Contrairement à nos craintes, aucun abus n’a été observé de la part des élèves, que ce soit en terme d’absentéisme ou d’agitation particulière.
3. Du côté des collègues enseignants de discipline, l’accueil a été très positif, certains faisant le constat que ce type d’actions étaient “nécessaires, car trop rares dans un établissement de 1600 élèves, où le lien entre tous n’était pas si facile”.
4. La découverte par les enseignants des “talents cachés” de certains de leurs élèves leur a permis de poser sur eux un nouveau regard, notamment sur des lycéens discrets ou peu doués dans les matières scolaires.
5. Chez les élèves, les compétences de communication orale ont été développées : bien sur lors de la prestation devant le public, mais également à l’occasion des réunions liées à l’organisation ou à la promotion de l’événement. Les échanges en amont entre les différents partenaires, élèves et adultes, ont généré des comportements plus confiants et, très rapidement, une modification des postures de communication, notamment face aux adultes.
6. Le principe de “parrainage artistique”, base du projet, a été un succès puisqu’une “Résidence d’artiste” de 4 jours a été mise en place au mois de juin dans une salle de spectacle prêtée par la Mairie. Pendant cette semaine, les élèves ont pu travailler leurs compositions avec les musiciens professionnels, puis un concert exceptionnel de fin d’année, gratuit et ouvert à tous, est venu consacrer fin juin cette année de programmation.
7. Des liens entre les élèves de filières générales et de filières professionnelles ont émergé à l’occasion des concerts et se sont poursuivis, la “popularité” des élèves musiciens suite aux concerts venant souder les groupes d’élèves différents entre eux.
8. La fréquentation du CDI par des élèves peu enclins à venir dans ce lieu (car jugé trop scolaire) a augmenté, certains y revenant par la suite pour d’autres activités, révisions, lectures, etc.
9. Des partenariats ont été amorcés :
– avec le Pôle “Musique Actuelles” de la Médiathèque avec la mis en place d’un prêt ponctuel de documents musicaux (documentaires, revues, partitions…), à définir avec les élèves eux -mêmes.
– avec les Services Culturels de la Mairie, pour poser les bases d’une réflexion commune sur les prolongements à donner à cette action pédagogique, dans un esprit de mutualisation d’artistes.
– La photographie avec des expositions communes élèves/photographes confirmés,
– L’illustration, la peinture et la sculpture avec expositions communes élèves/artistes, ainsi que des galeristes.
– Le cinéma et la vidéo avec des réalisateurs et comédiens,
– Le théâtre avec des metteurs en scène et comédiens (partenariats d’ateliers en relation avec la programmation du Théâtre d’Agglomération, Le Forum).
– D’autres performances nous ont été proposés spontanément par des groupes d’élèves : danse par un groupe d’élèves garçons, slam, beat -box, et également magie avec un élève ayant déjà assuré des premières parties de spectacles.
D’autres projets, en relation directe avec les disciplines et programmes d’enseignement, sont également programmés car propices aux échanges et débats : rencontres avec des écrivains et auteurs de BD, C@fés -Sciences, C@fés -Philo, exposés ECJS, Semaine Culturelle organisée par les élèves du CVL, sans oublier les animations portées par un enseignant volontaire, voire par une classe particulière.
Cette organisation permettra au documentaliste de ne pas s’éparpiller dans la multiplicité des tâches, et d’équilibrer animation de ce nouvel espace et formations pédagogiques, indispensables.
La co -construction avec les élèves sera également primordiale, même si elle risque au départ d’être un peu chronophage. C’est pourtant à ce prix que le CDI pourra envisager de “rester crédible” : en offrant une scène ouverte à tous les élèves – toutes filières ou niveaux confondus – et en leur permettant de “s’auto -publier” de manière réfléchie, face à un public, en complétant ainsi les apprentissages scolaires par des apprentissages plus sociaux, de ceux qui donnent confiance en soi et aident à avancer.
[1] Pour en savoir plus sur les mutations des bibliothèques de plusieurs pays depuis ces 15 dernières années , et notamment leur réflexion sur ce qu’ils nomment “l’expérience de l’usager”, voir l’article de Henrik JOCHUMSEN, Casper HVENEGAARD RASMUSSEN et Dorte SKOT -HANSEN “A new model for the public library in the knowledge and experience society, Research at the Royal School of Information and Library Science“, 2010, ainsi que le stage proposé au Plan Académique de Formation de l’académie de Nice “Evolution des CDI : espaces et communication à l’ère du numérique”.
[2] BAYARD -PIERLOT Jacqueline, BIRGLIN Marie -José, Le CDI au cœur du projet pédagogique, Paris, Hachette, 1991 et LEBLOND Françoise, LEBFEVRE Etienne, Un lien civique au cœur de l’établissement, Paris, Hachette, 1999.