TRAAM Documentation : la bibliothérapie au service du bien être individuel et collectif

Dans le cadre des travaux académiques mutualisés 2017-2018 sur la thématique Repenser l’espace existant du C.D.I pour répondre aux besoins des usagers, une réflexion et une dynamique ont été amorcées dans plusieurs CDI autour de la question de la forme scolaire. Les académies de Guyane (Perrine Chambaud), Nancy-Metz (Laureline Lemoine) et Nice (Caroline Soubic, Armelle Cendo, Nora Nagi-Amelin, Roxane Obadia, Didier Mouren (Canopé)) se sont associées pour mener à bien un projet collectif.

I/ Une expérience, un constat :

Le projet Lire délivre est né d’une réflexion que je mène depuis plusieurs années sur le pouvoir réparateur de la fiction. Cette réflexion est le fruit d’une observation et d’un ressenti à partir de mon expérience de lectrice. De plus, l’essai de Marc-Alain Ouaknin Bibliothérapie. Lire, c’est guérir, Le Seuil, 1994 et L’art de lire ou comment résister à l’adversité de Michel Petit, Belin, 2016 m’ont permis de mieux comprendre ce qui était à l’oeuvre dans le pouvoir thérapeutique de la lecture de romans.

La découverte du livre de Régine Detambel Les livres prennent soin de nous , Actes Sud, 2015 et l’implication de l’auteure, qui est aussi kinésithérapeute, dans la formation en bibliothérapie à destination des soignants, des professionnels du livre et des enseignants m’ont convaincue d’imaginer un dispositif à l’attention des élèves de collèges et de lycées. À ceci s’est ajouté la lecture d’un article dans la revue Inter CDI d’Aurélie Louvel, élève de Régine Détambel et à l’origine d’un site internet Bibliothérapie jeunesse https://bibliotherapie76.wixsite.com/blog qui a donné une légitimité à ma démarche.

Au fil de ma réflexion et de mes lectures puisées dans la littérature adulte, je me suis rendu compte combien ces dernières années, la société interroge et utilise consciemment l’apport de la fiction pour comprendre le monde, ses contradictions et ses tensions. De plus, les auteurs contemporains eux-mêmes construisent des fictions destinées à « réparer le monde » (du livre éponyme d’Alexandre Geffen paru en 2017 aux éditions José Corti).

Quand j’analyse mes dernières lectures, je me rends compte combien les romans m’ont permis d’accéder à des problématiques contemporaines.

Aujourd’hui, la fiction n’est pas seulement une façon d’expliquer le monde, de mettre des mots sur les événements et les sentiments comme c’est le cas en littérature. Elle nous permet aussi d’aller à contre-courant de la vitesse. Elle représente, par le temps nécessaire à sa lecture linéaire et à l’introspection qui en résulte, une alternative au zapping numérique et à ses avatars de l’extime (Facebook, Snapchat, Instagram…) censés produire et relayer des récits de soi, des fictions de soi qui envahissent la sphère numérique mais font rarement œuvre littéraire.

II/ Lire délivre : un dispositif bibliothérapeutique en faveur des collégiens

Pourquoi ne pas faire profiter les adolescents de l’aspect réparateur de la lecture ? Pourquoi ne pas puiser pour eux dans la littérature jeunesse des romans qui expliquent le monde, ses tensions, ses contradictions ?

Définition de la Bibliothérapie :

“Biblio” comme livre, “thérapie” comme soin quand on considère que la lecture permet de restaurer un espace à soi, nécessaire à la compréhension de soi-même et des autres. Quand on parle de bibliothérapie on entend le pouvoir bénéfique de la lecture dans la mesure où les mots écrits permettent d’accéder au registre symbolique, à la métaphore et ainsi aux questionnements d’affleurer.

Problématiques :

Comment mettre la fiction au service du bien-être dans un établissement scolaire ?

Comment mettre en scène une sélection de romans de façon à la rendre la plus attractive possible ?

Comment susciter chez les élèves le désir de lecture ?

Comment aménager un espace dédié à la lecture et au bien-être ?

III/ Les étapes du projet :

1/ Établir un “diagnostic” des problèmes rencontrés par les élèves dans l’établissement. Une première expérimentation réalisée il y a 2 ans m’a encouragée à intégrer tous les acteurs du collège dans cette aventure pour une meilleure efficacité, une meilleure synergie : CPE, infirmière, professeurs principaux, principal, principal adjoint. Chacun détient une pièce du puzzle, c’est-à-dire des informations sur les difficultés rencontrées par les élèves qu’elles soient d’ordre scolaires, familiales, sociales ou liées à la santé. J’évite de passer à côté d’informations importantes et je peux ainsi compléter ma sélection.

Les élèves sont impliqués dans la sélection par la mise en place d’une boîte intitulée “choisis les thèmes de tes romans” à travers laquelle les élèves font des suggestions en fonction de leurs questionnements. Il est évident que nous nous concentrons sur des problèmes/malaises de faible gravité, les problèmes graves n’étant pas de mon ressort. Il s’agit “d’accompagner” l’élève dans une démarche de mieux être, de meilleure compréhension de lui-même ou des événements, grâce à une lecture, pas d’apporter une solution.

2/Mise en espace de la sélection « Lire délivre » : Il s’agit de construire un assortiment de romans dans un espace dédié “Lire délivre” qui sera le reflet des besoins des élèves. J’aménage un espace de lecture privilégié au CDI avec des fauteuils confortables qui invitent à s’arrêter et je présente les romans sous la forme d’un panneau attractif “des livres qui font du bien quand…”

Les livres sont glissés dans des sacs de couleurs vives sur lesquels sont inscrits des thèmes d’ado « le collège quelle galère » « je me dispute avec ma soeur » « aller vers ceux qui sont différents » « mal fringué(e) ? » « mes parents sont séparés », « tomber amoureux » « accros aux écrans ? » Chaque sac contient plusieurs livres d’épaisseurs différentes afin de ne décourager aucun lecteur.

 

3/ Construire un assortiment adapté

Il n’y a pas de livres qui seraient bibliothérapeutiques et d’autres non mais pour construire ma sélection, je suis allée chercher chez les éditeurs jeunesse des textes littéraires contemporains susceptibles de répondre à la fois à des exigences littéraires et thématiques.

La collection Petite poche chez Thierry Magnier présente un double avantage : des textes littéraires très efficaces qui abordent tous les sujets sans concessions, graves et légers (la mort, l’homoparentalité, le handicap, l’amour, l’amitié) et leur format, très court, qui permet à l’élève de lire un roman en 20 minutes et de ne pas être freiné par la taille du livre. Il en retire donc une double satisfaction : le sentiment de fierté d’avoir lu un roman et le plaisir retiré de la lecture car tous ces textes font mouche.

Je fais aussi confiance aux textes publiés à l’école des loisirs (collection médium 12-14 ans). Le catalogue est composé d’auteurs fidèles à la maison (cette confiance, pour moi, c’est un gage de qualité), qui écrivent, essentiellement en langue française -le catalogue contient peu de traductions- à la fois pour les adultes et la jeunesse (Marilyn Desbiolles, Arnaud Catherine, Christophe Honoré, Agnès Desharte), avec le souci de questionner le monde contemporain.

Ma sélection n’écarte à priori aucun genre littéraire. On peut trouver dans les sacs aussi bien de la science-fiction, du polar, de la romance que du roman historique ou du thriller. Cependant je n’intègre pas à cette sélection les « best-sellers » de la jeunesse que les ados se conseillent entre eux car je considère qu’ils n’ont pas besoin d’être « accompagnés » vers ces lectures et que mon rôle est de les guider vers des textes moins connus.

4/ Un temps dédié à la médiation culturelle

Les élèves accèdent à la sélection de plusieurs manières : lors de temps libre au CDI, sur la base du volontariat lorsqu’ils viennent de la permanence pour un temps dédié à la lecture, ou bien, en demi-groupe lors d’une heure d’AP.

Nous nous asseyons dans cet espace et je commence par leur faire la lecture à haute voix. Je choisis un livre dans un sac, et je lis une histoire en entier, soit 25 minutes de lecture. C’est un moment de partage très important pour nous tous. De la sixième à la troisième, tous sont attentifs et respectueux de ce cadeau qui leur est fait. À cet instant tous sont égaux car ils peuvent accéder au texte, plus de problèmes de lecture et de déchiffrage, seulement le plaisir de la lecture. Il nous arrive de parler ensemble de l’histoire après la lecture, puis les élèves sont invités à découvrir la sélection.

Les élèves postent leur avis de lecteur sur le portail documentaire e-sidoc.

5/ Vers la créativité : une production qui peut prendre plusieurs formes

Il faut donner la possibilité aux élèves de produire à leur tour un texte qui serait le reflet de leur expérience de lecteur et qui leur permettra de s’exprimer. Cet atelier d’écriture peut prendre plusieurs formes : s’organiser sur la base du volontariat ou bien être intégré à un projet classe.

Il me semble nécessaire de faire appel à un intervenant extérieur qui maîtrise l’art de mener un atelier d’écriture car de nombreuses choses peuvent affleurer à ce moment là. Il est important de se concentrer sur l’acte d’écrire et de considérer le projet littéraire de l’élève afin de l’aider à donner un cadre à ses émotions au lieu de le laisser être débordé par elles. Je conseille d’ailleurs de construire l’atelier d’écriture autour d’un thème générique, commun à tous les participants, comme « l’attente » ou « la joie ».

Les productions seront valorisées sur le portail e-sidoc et le site de l’établissement.

Même si nous utilisons le terme de bibliothérapie, nous ne sommes pas des soignants mais des accompagnants.

6/ Qui a peur de la bibliothérapie ?

La mise en place d’un projet de ce type dans un établissement peut rencontrer de nombreux freins, des bloquages, car le terme peut faire peur. Il est vrai que le soin est à priori éloigné de nos missions qui sont d’ordre pédagogiques, raison pour laquelle le futur « bibliothérapeute » doit avoir de solides références théoriques pour être à même de rassurer sur le sens de la démarche.

Une bibliographie enrichie est en cours de rédaction/création par Didier Mouren (Atelier Canopé 83) et Roxane Obadia (83). En attendant, une sélection thématique est disponible sous forme de Padlet Lire Délivre.

Des émissions ont été réalisées par Roxane Obadia pour Cap Radio :

Avec les documentalistes du bassin de Hyeres : Faut-il avoir peur de la bibliothérapie ?

Avec Marie Valet et les professeurs documentalistes titulaires 3e année en stage : La forme scolaire

Lire délivre en ligne en collaboration avec Nora Nagi-Amelin :

Padlet Lire délivre : des livres qui prennent soin des collégiens

Ecricarte réalisée par Caroline Soubic lors du colloque Ecritech 9

Ecricarte Lire délivre

Ludovia magazine, Lire délivre : la bibliothérapie au service du bien être, Armelle Cendo, Nora Nagi-Amelin Lire délivre Ludovia

Références :

Les livres prennent soin de nous, pour une bibliothérapie créative, Régine Detambel Actes Sud

Réparer le monde, la littérature française face au XXI siècle, Alexandre Gefen, Éditions José Corti

L’enfant et la peur d’apprendre et Ces enfants empêchés de penser, Serge Boimard, Dunod.

Bibliothérapie. Lire, c’est guérir, Marc-Alain Ouaknin, Le Seuil. L’art de lire ou comment résister à l’adversité, Michel Petit, Belin

https://bibliotherapie76.wixsite.com/blog et La bibliothérapie, quelles actions possibles au CDI ? Revue InterCDI 260, Aurélie Louvel

Armelle Cendo

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