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TraAM Documentation 2025

IA générative et démarche d’intelligence collective

Cet article réflexif est le fruit d’une mutualisation entre les Académies de Lille, Nice et Orléans Tours dans le cadre des TraAM Documentation 2024 2025 sur le thème de « l’Intelligence collective au service des compétences du XXIème siècle ».

Le groupe de travail a mené des expérimentations autour de l’utilisation des Intelligences Artificielles dans le cadre des apprentissages info-documentaires, et a ainsi réfléchi à la problématique suivante :

« Comment l’Intelligence Artificielle Générative peut-elle être intégrée dans une démarche d’intelligence collective pour accompagner les élèves ? »

[ Selon le Journal officiel du 9 décembre 2018 :

intelligence artificielle, IA (traduction de l’anglais : artificial intelligence, AI)

Champ interdisciplinaire théorique et pratique qui a pour objet la compréhension de mécanismes de la cognition et de la réflexion, et leur imitation par un dispositif matériel et logiciel, à des fins d’assistance ou de substitution à des activités humaines. ]

[ Selon la CNIL, plus précisément

L’intelligence artificielle est un procédé logique et automatisé reposant généralement sur un algorithme et en mesure de réaliser des tâches bien définies. Pour le Parlement européen, constitue une intelligence artificielle tout outil utilisé par une machine afin de « reproduire des comportements liés aux humains, tels que le raisonnement, la planification et la créativité ». Plus précisément, la Commission européenne considère que l’IA regroupe :

les approches d’apprentissage automatique ; les approches fondées sur la logique et les connaissances ; et les approches statistiques, l’estimation bayésienne, et les méthodes de recherche et d’optimisation.

https://www.cnil.fr/fr/definition/intelligence-artificielle
https://www.europarl.europa.eu/topics/fr/article/20200827STO85804/intelligence-artificielle-definition-et-utilisation ]

[ Selon le Journal officiel du IA 6 septembre 2024 :

Intelligence artificielle générative, IA générative (traduction de l’anglais pour GenAI, generative AI, generative artificial intelligence)

Branche de l’intelligence artificielle mettant en œuvre des modèles génératifs, qui vise à produire des contenus textuels, graphiques ou audiovisuels.]

[https://www.culture.gouv.fr/Thematiques/langue-francaise-et-langues-de-france/Agir-pour-les-langues/moderniser-et-enrichir-la-langue-francaise/Nos-publications/50-termes-cles-de-l-intelligence-artificielle ]

 

Axe 1 : La complexité du prompt

  • De l’importance du travail collaboratif : nous sommes bien plus qu’une IA

L’utilisation des outils IA génératifs d’aujourd’hui est conditionnée par la formulation d’une requête qui nécessite une réflexion collaborative sur papier, avec un tâtonnement, un brainstorming, qui implique une pédagogie de l’erreur. C’est une requête approximative (par itérations) qui se complète au fur et à mesure, en fonction des résultats proposés. Contrairement à une requête par mots-clés dans une base de données qui applique une méthode mathématique (scientifique) de sélection de données pour obtenir des faits, l’interrogation, sous forme de prompts, d’une IA générative de contenus, nécessite et dépend d’une maîtrise de la langue (maîtrise littéraire), d’une culture générale personnelle, d’une conscience des biais cognitifs engendrés par les formulations ainsi que les connaissances des sources de données, du fonctionnement de la génération de texte, de l’esprit critique sans compter les ajouts de connaissances externes non numérisées, à des idées privées ou nouvelles.

La rédaction d’un prompt restant ainsi extrêmement subjective, elle tire un bénéfice presque indispensable du travail collaboratif permettant, littéralement, de fournir un résultat « greater than the sum of its parts » – supérieur à la somme de ses parties :

  • Maîtrise de la langue
  • Expertises
  • Culture générale et sur le fonctionnement de l’IA générative
  • Diversités (incluant le genre, l’ethnicité, les différences sociales…)

 

  • Outils et pédagogie : réunir nos compétences pour une consommation saine

De plus, le résultat fourni par l’IA est seulement un document de collecte, une compilation statistique de contenus numériques et il est souvent présenté par les éditeurs de l’IA ou perçu par les utilisateurs – et ce, quelles que soient les réponses, vraies, fausses, « hallucinées » – comme des vérités, des faits, des actualités, des rapports scientifiques. Il est sans aucun doute nécessaire voire impératif si on les utilise, de croiser les sources et de mobiliser d’autres outils et ressources (connectée ou non) a fortiori au sein de nos pratiques scolaires.

L’arrivée de l’IA et de l’utilisation des prompts amène la création et la modification des scénarios pédagogiques sur l’utilisation des moteurs de recherche et pousse la réflexion autour d’une utilisation plein texte (on le voit avec le moteur de recherche Qwant qui a intégré ChatGPT) et pose la question de l’utilisation des mots-clés ainsi que de l’obsolescence du questionnement quintilien.

En revanche, cela implique, dans les méthodes de recherche d’information, de s’interroger sur les sources informationnelles proposées par l’IA, et par conséquent d’analyser la pertinence et la fiabilité des contenus et des sites internet, au regard de la cohérence des informations.
Cela implique aussi de se recentrer sur les références bibliographiques et sitographiques nécessaires à mettre en avant (d’où le croisement des sources), et retravailler avec les élèves sur les recherches d’auteurs, d’éditeurs, d’outils de fact-checking sur des sites internet. (Qui fait l’information, qui la publie et où ?). Il est donc nécessaire de continuer de renforcer la formation du citoyen numérique à l’esprit critique, au décryptage des informations, à la fiabilité des images diffusées sur Internet (fake news, deepfakes, photomontages et manipulations…) afin de lutter contre la désinformation.
L’idée simple est de faire attention à son régime informationnel.
Elle est ancienne d’ailleurs, il ne faut pas « avaler » n’importe quoi mais maîtriser les outils et savoirs qui permettront une consommation en toute connaissance de cause.
Cette conscience doit être à jour du contexte technologique et des innovations techniques des producteurs et vérificateurs de contenus.

Avoir conscience que l’IA peut se tromper amène l’élève à avoir une posture différente face aux résultats proposés. Il doit être critique, analytique, impliqué, pour pouvoir s’approprier et construire le contenu en fonction de ses besoins informationnels. L’élève est donc non seulement chercheur d’information mais également vérificateur. Il exerce une pensée critique face aux propositions de la machine. Cela nécessite de maîtriser pleinement des notions informatiques, scientifiques, géopolitiques, écologiques et de comprendre les problèmes éthiques et les enjeux, les défauts, les limites inhérentes à l’outil IA.

Pour citer un exemple mené au Collège Henri Wallon à la Seyne-sur-mer suite à l’intervention de Terra Numérica, une utilisation, au préalable, de la plateforme éducative Vittascience [https://fr.vittascience.com/] permet d’offrir une base de réflexion de recherche préalable, de lancer une discussion collective, de croiser les résultats et les requêtes, de solliciter des expertises, d’explorer l’immensité et la richesse du contenu hors ligne, celui du monde réel.

Cette contextualisation nécessaire semble ambitieuse sauf si nous continuons de mettre en commun les connaissances des fournisseurs de savoir et experts que sont les professeurs pour les synthétiser, un peu à l’image de ce que l’IA prétend faire automatiquement.
Il est donc important de construire des projets IA en commun et que les formations sur le sujet se fassent dans le cadre d’un enseignement transdisciplinaire (lettres, sciences, documentation, arts, langues…).

Sur la question des outils, par exemple, les enseignants doivent être capables de proposer des alternatives pour revenir à un Internet fiable, sûr, des outils de confiance avec du contenu pertinent et validé, tout en luttant contre les GAFA, les NATU et autres (Tencent, Alibaba, Bytedance, Telegram …) de la même manière qu’ils orientent vers des sites RGPD en matière de protection des données personnelles.

 

  • L’Ingénierie du prompt

[https://www.culture.gouv.fr/Thematiques/langue-francaise-et-langues-de-france/Agir-pour-les-langues/moderniser-et-enrichir-la-langue-francaise/Nos-publications/50-termes-cles-de-l-intelligence-artificielle ]

Par définition, le prompt est une instruction donnée à un modèle génératif, généralement formulée par l’utilisateur en langage naturel, décrivant la tâche à accomplir et le résultat attendu.

Maintenant des agents conversationnels ou Chatbots peuvent cadrer l’écriture du prompt. Par exemple, un assistant de création de prompt pour une IA générative de texte est fondé sur la méthode : Rôle Contexte Tâche. L’instruction s’élabore en utilisant les listes déroulantes donc prédéfinies. Leur contexte d’utilisation s’étend au quiz de révision ou à un apprentissage personnalisé.

En amont, la conception sur papier du prompt limite le nombre d’itérations et donc l’impact environnemental en minimisant la consommation d’énergie des centres de données, l’empreinte carbone et hydrique, notamment pour le refroidissement des serveurs.

[FrédérickGarcia, SophieSchbath. Les impacts de l’IA sur l’environnement. Annales des Mines – Enjeux Numériques, 29, 2025, Pour une IA responsable et éthique. https://hal.inrae.fr/hal-05020408v1 Submitted on 4 Apr 2025 ]

Il s’avère qu’un même prompt, avec le pluralisme des modèles IA, peut donner des réponses différentes, voire des hallucinations. Le contexte géographique et culturel, tels que le lieu de la requête et la langue de l’instruction, peuvent également influencer la réponse de l’IA. De plus, l’IA n’est pas déterministe sur les calculs. Il apparaît essentiel de vérifier les sources citées par l’IA et de cultiver le doute face à l’IA et ses biais.

Le véritable enjeu de l’ingénierie du prompt s’articule autour de la maîtrise du dialogue homme-machine ou d’une véritable « littératie IA » , qui se définit par l’ensemble de savoirs et savoir-faire permettant d’interagir efficacement avec les systèmes intelligents.

Comment penser pour être compris par des algorithmes qui simulent la pensée ? Ce n’est pas seulement la pensée computationnelle, c’est à dire apprendre à parler à une machine mais aussi comprendre comment l’IA traite l’information, quels sont ses biais, ses limites et ses forces.

Apprendre à « prompter », c’est savoir analyser ses besoins, au niveau du fond et de la forme, apprendre à découper un problème en sous problèmes plus accessibles par l’IA, reformuler ses idées, vérifier la pertinence et la véracité des réponses afin d’ajuster ou compléter sa requête.

Cependant, selon l’approche bayésienne, il s’avère que l’ingénierie du prompt va au-delà de la connaissance de syntaxes spécifiques pour optimiser l’instruction. Les compétences ne doivent pas se réduire aux capacités des modèles et à l’interface qui évoluent très rapidement et donc entraînent leur obsolescence.

Les compétences à privilégier dans l’écosystème des savoirs numériques du XXIème siècle, s’articulent plutôt autour d’un processus continu d’adaptation stratégique, s’appuyant sur l’esprit critique, la logique formelle, la pensée systémique, la compréhension des biais cognitifs, la psychologie appliquée, l’éthique algorithmique.

Pour cela, la démarche d’intelligence collective pour accompagner les élèves dans l’apprentissage par collaboration comprend surtout des activités d’échange, de pratique et de production en équipe. Il s’agit de s’impliquer dans un collectif et participer activement au processus de construction de la connaissance, selon les domaines de compétences, notamment les compétences autour de l’esprit critique et de l’expression langagière.

https://www.ai4t.eu/textbook/

https://www.insb.cnrs.fr/fr/cnrsinfo/mecanismes-cerebraux-sous-tendant-les-inferences-sur-les-intentions-dautrui-lors-de

Axe 2 : Questionnements éthiques

Les impacts de l’IA comme leviers d’un questionnement collectif éthique

  • L’impact énergétique :

L’utilisation des intelligences artificielles génératives pousse à mener une réflexion collaborative sur le besoin et l’usage que l’on en fait. Il est donc nécessaire de faire réfléchir les élèves sur la tâche à accomplir ainsi que les objectifs visés avant de se lancer dans l’utilisation de cet outil ; la simple recherche d’une définition ne nécessitera pas l’utilisation d’une intelligence artificielle. Une prise de conscience collective sur cet impact environnemental amène les élèves à un dépassement de soi et une réflexion écologique sur les usages du numérique.

La mise en place d’un micro-trottoir dans le collège Henri Wallon à la Seyne-sur-mer sur ce sujet a permis une réflexion à l’échelle de l’établissement sur la thématique. De fait, il y a eu une prise de conscience de l’empreinte énergétique engendrée par le stockage des données et le rafraîchissement des serveurs lors de la génération de contenus liée aux prompts.

Voici le scénario pédagogique créé sur ces questions dans le Collège Wallon en partenariat avec Terra Numérica (porté par CNRS, Inria et Université Côte d’Azur)  :

Émission télévisée au cœur de l’IA : vers une utilisation éthique et éco-responsable

  • Les impacts sur les personnes :

La réflexion collective a été également lancée dans le cadre d’un brainstorming autour de l’utilisation des données personnelles. Quelles sont les données que je laisse en m’inscrivant sur une IA et en utilisant cette dernière ?

Il est, par ailleurs, nécessaire de faire un rappel à la Loi du 7 Juillet 2023 sur la majorité numérique lors de ces séances avec les élèves. La réflexion est globale dans le sens où les élèves partent de leurs usages, de la façon dont ils cèdent certaines images à l’IA pour « avancer », puis les récupérations induites par ces outils.

La réflexion prend encore plus de sens quand il s’agit de l’utilisation de photos ou vidéos personnelles soulevant les questions du droit à l’image, dont l’abus est davantage ressenti comme une violence. Elle est encore plus forte quand on souligne les décalages entre une certaine expertise perçue de nos jeunes sur les bonnes pratiques à adopter en ligne et l’ignorance sur le sujet d’une majorité d’utilisateurs (points de vue générationnels différents, situation de vulnérabilités, discriminations…).

On en vient aussi à discuter de la question économique, l’accès aux versions premium, en soulevant des questions sur la fracture numérique mais aussi en abordant le rapport de dépendance lié à ces utilisations. Pourquoi a-t-on l’impression de tricher en utilisant l’IA, de céder aussi aisément à la facilité ? Un sentiment proche de la honte, un ressenti à souligner et à analyser avec l’élève.

Enfin, le filtre studio Gibli sur ChatGPT a également permis de pousser la réflexion, au sein du groupe, sur la question des droits d’auteur. Cette question s’est également posée lors de l’utilisation de l’IA Suno pour insérer des musiques dans les émissions radiophoniques. Est-ce que les IA fabriquent des artistes ? Sur quelles données les IA s’appuient-elles pour générer leur contenu en fonction de l’instruction donnée ? Comment les artistes peuvent-ils se réapproprier l’IA ?

On recontextualise les « productions » de l’IA comme simples objets d’un environnement global et complexe qui peut être étudié et qui peut inspirer, plutôt que comme une finalité créative. Elle est limitée, uniquement numérique, problématique et par définition, un remix artificiel du passé s’opposant ainsi à la réalité et l’authenticité d’une démarche de création artistique.

Il s’agit plutôt de valoriser les contenus produits ou, mieux, de redéfinir la créativité, tout en mettant l’Humain au centre de l’intention. (Voir exemple dans la partie Axe 3).

Surtout que là encore, en terme de droits d’auteurs, nous n’en sommes encore qu’au début et que l’appropriation et la législation vont certainement évoluer. C’est ce que mentionne d’ailleurs la chaîne Info ou Mytho, dans son reportage « les IA sont-elles des artistes ? » publié en mai 2025. https://www.youtube.com/watch?v=3pD1LkTVi7k

 

Les systèmes automatisés de prise de décision dérivent de modèles, d’informations et de prédictions à partir de grands ensembles de données. Bien qu’ils aspirent à imiter et à automatiser un jugement intelligent de type humain, les algorithmes qualifiés d’IA restent en réalité des modèles imparfaits susceptibles de générer des inférences erronées et de prendre des décisions biaisées.

Aussi, le risque de déléguer à l’IA des décisions pédagogiques expose l’élève à un traitement inégal, car ces algorithmes apparemment impartiaux sont produits par des informaticiens, des ingénieurs et des entreprises dont les données et les pratiques peuvent amplifier des biais historiques et culturels.

Les dommages peuvent être atténués si nous prenons des mesures intentionnelles pour nous en protéger. Une vigilance réfléchie, grâce à une démarche d’intelligence collective et de recherche d’équité, peut s’inscrire dans le projet d’établissement.

Axe 3 : Stimuler la créativité

  • L’IA comme source d’inspiration

L’utilisation d’une IA peut être une aide à la création, une première étape d’un processus créatif, notamment dans la réalisation des émissions télévisées et radiophoniques ou de projets artistiques.

Ce « remixage », « mashup proposé par l’IA, peut, après vérification des sources et validation de l’information, permettre de fournir les stimuli, les prémices, l’initiation d’une production créative et collaborative.

Dans une démarche créative, l’IA devient un outil de stimulation, d’impulsion : créations de bruitages, sons, musiques, un « moodboard » (tableau d’inspiration, d’humeur) . Utiliser cet outil dans un processus créatif, revient à placer l’Humain au centre de la création. Ce dernier est entre le contenu d’inspiration et la production. Les élèves se dégagent ainsi du copié-collé, de la réponse toute faite, facile, non fiable et dépersonnalisée pour une meilleure réappropriation de cet outil.

Ce travail pourra également sans doute remettre en avant la richesse de la production de contenu réel par rapport à des réponses artificielles pauvres et largement problématiques.

On pourra aussi relier ces questions aux droits (droit à l’image, question du copyright) et remettre en valeur l’importance du travail, de la démarche, de l’intelligence de l’auteur, de l’artiste notamment en sondant l’idée d’une réappropriation de la création par l’IA.

  • L’usage de l’IA au service d’une pédagogie créative et critique

L’intégration de l’intelligence artificielle dans le projet d’une émission de Webradio s’est révélée être un levier pédagogique à part entière, au-delà de son intérêt technologique. Loin de se limiter à une fonction utilitaire, l’IA a enrichi les différentes phases de la production radiophonique : de la recherche d’informations à la reformulation des textes, jusqu’à la création de contenus sonores (bruitages, habillage musical). Elle a ainsi permis de soutenir les élèves dans leurs démarches de création tout en développant leur autonomie.

L’usage de l’IA a induit un changement de posture notable chez les élèves : ils ont dû questionner les propositions générées, faire preuve de discernement, sélectionner les éléments pertinents et les adapter à leurs intentions de communication. Ce processus a renforcé leurs compétences critiques, tout en les engageant dans une réflexion sur la responsabilité éditoriale. L’IA n’a pas été utilisée comme une solution de facilité, mais comme un déclencheur de créativité, un « partenaire » de la production collective.

Par ailleurs, l’outil a contribué à lever certains obstacles à la création (manque d’inspiration, difficultés à structurer un discours, appréhension technique) en proposant des amorces ou des matériaux exploitables. Les élèves se sont ainsi libérés d’un rapport figé au savoir ou à la forme, pour adopter une posture d’auteur capable de faire des choix argumentés et esthétiques.

Enfin, ce projet a permis de croiser de manière pertinente les enjeux de l’éducation aux médias et à l’information avec ceux de la culture numérique. L’intelligence artificielle, ici mise au service d’une finalité éducative, a favorisé le développement d’une pensée critique et créative, inscrite dans une logique de production responsable et collaborative.

Ci-dessous, le scénario pédagogique réalisé au collège Carlin Legrand de Bapaume :

Webradio et développement durable : une démarche pédagogique enrichie par l’IA https://pedagogie.ac-lille.fr/prof-doc/webradio-et-developpement-durable-une-demarche-pedagogique-enrichie-par-lia/

Voici le scénario pédagogique mené dans le Collège Henri Wallon à la Seyne-sur-mer sur le sujet :

Monter une émission radio à l’aide de professionnels et avec des IA génératives

Le projet artistique avec trois classes de 3èmes du Collège de l’Archet à Nice, lié au concours IA Prompt Art organisé par la Maison de l’Intelligence Artificielle s’est inscrit dans une démarche pédagogique pour apprendre avec l’IA tout en maintenant l’humain dans la boucle décisionnelle, grâce à l’esprit critique : comprendre, interagir, créer, collaborer.

L’intervention de la MIA a contribué à clarifier, avec des exemples concrets, les capacités et les enjeux de l’IA, pour créer une production d’art numérique fixe ou animée, en utilisant des outils d’intelligence artificielle.

Les élèves avaient pour consigne d’utiliser le vocabulaire appris en cours d’Arts Plastiques pour décrire dans le prompt l’ambiance et l’atmosphère, les couleurs et les teintes, l’environnement et les espaces, le style et les détails dans les éléments visuels.

Le thème du concours pour cette année était : Documenter ou augmenter le réel. A partir d’œuvres étudiées durant l’année, les participants devaient générer une image numérique ou une vidéo à l’aide d’une IA puis la présenter en précisant leur intention, le(s) IA utilisée(s) et le prompt final. La MIA ayant proposé une liste d’outils IA de génération de textes, d’images, de musiques, de voix off et des outils de montage vidéo.

Au début, la posture de l’élève face à l’IA s’avérait être, majoritairement, une consommation passive ou au mieux une interaction réactive, c’est à dire en influençant légèrement la réponse.

Puis en travaillant sur la reformulation et l’esprit critique, certains élèves ont pu viser l’objectif pédagogique de collaboration active, à savoir exploiter l’assistance de l’IA pour produire un contenu ou résoudre un problème. Pour cela, l’outil IA génération de texte a été privilégié dans un premier temps pour reformuler le prompt. Dans un second temps, l’instruction finale a été donnée à l’IA générative d’images. Cette méthode permet d’apprendre à concevoir avec une attitude responsable en économisant les itérations coûteuses pour l’environnement. Cependant, les élèves ont pu observer que les résultats avec des outils gratuits diffèrent de ceux utilisés par la MIA avec un compte professionnel et des options payantes.

En outre, il a été demandé aux élèves de sauvegarder la progression de leur prompt et les images obtenues. Le but de cet exercice était qu’ils puissent constater par eux-mêmes que le développement des compétences langagières leur a permis d’affiner le prompt et d’obtenir une production qui se rapprochait de leurs attentes. L’outil IA leur avait rapidement proposé une image. Seul leur esprit critique leur permettrait de préserver leur singularité créative. Sans ce discernement, l’élève a tendance à se limiter à la première production de l’IA, au détriment de sa propre imagination.

Le fait de travailler en îlots diversifie les expériences et par conséquent peut enrichir les échanges entre groupes pour comparer les résultats et améliorer la qualité des instructions. Ainsi, dans l’étape suivante, l’objectif pédagogique est de tendre vers la co-création collaborative, où l’élève collabore avec d’autres élèves et une IA dans un processus collectif de construction de connaissances ou de résolution de problèmes.

[Voir le projet IA en Orientation mené au Collège de l’Archet à Nice – lien du scénario pédagogique :

https://www.pedagogie.ac-nice.fr/doc-azur/2025/06/05/ia-en-orientation/]

  • Projet personnel de l’élève :

Face à la surcharge informationnelle, ou « infobésité », qui caractérise l’orientation scolaire à une période clé de la construction identitaire des lycéens, l’intelligence artificielle générative (IAg) offre un accès à une information synthétique et structurée. Cet accès facilite la compréhension initiale d’une notion ou la visualisation globale des différentes voies de poursuite d’études.

Durant nos séances, certains élèves ont rapidement perçu l’importance de formuler un prompt précis, intégrant le contexte et la nature de la production attendue. Cette démarche, conforme aux recommandations de l’ingénierie du prompt, leur a permis d’obtenir immédiatement des réponses pertinentes et concises. À l’inverse, d’autres élèves, ayant opté pour des prompts simplistes assimilables à des requêtes de moteur de recherche, n’ont pas saisi la valeur ajoutée de l’outil, rejoignant ainsi les constats de Zhai (2022) sur la nécessité d’une littératie spécifique pour exploiter pleinement les capacités des IA génératives.

Dans cette séquence, la production d’un visuel à l’aide d’un logiciel de conception graphique en ligne a été facilitée par la clarté et la concision des informations générées par l’IAg. L’appropriation du contenu textuel n’a pas requis d’effort particulier, l’information ayant pu être rapidement comprise et transformée en support visuel, ce qui illustre l’apport de l’IAg en matière de simplification et de valorisation des processus de création.

Axe 4 : Esprit critique

Développer des compétences en résolution de problèmes et en pensée critique pour comprendre les résultats qui s’en dégagent, renforcer le croisement des sources en allant vers du contenu fiable et validé (presse en ligne du type Europresse et Cafeyn).

Tout au long de la séquence, l’équipe éducative réfléchit à la manière d’accompagner l’élève d’une logique de production vers une logique d’enrichissement.

En amont, la posture de l’enseignant s’appuie sur le cadre juridique défini par IA Act pour la confidentialité des données [ https://artificialintelligenceact.eu/fr/ ] et sur les recommandations de la CNIL pour l’application du RGPD aux modèles d’IA, notamment au modèle de langage (LLM) contenant des données personnelles [https://www.cnil.fr/fr/ia-et-rgpd-la-cnil-publie-ses-nouvelles-recommandations-pour-accompagner-une-innovation-responsable].

Cette démarche d’intelligence collective tient compte des enjeux : techniques, juridiques et éthiques pour proposer une approche pédagogique : comprendre, expliquer, intégrer l’IA aux apprentissages selon la compréhension des outils IA. L’objectif étant de déterminer les compétences à développer chez les élèves pour qu’ils aient un usage émancipateur de l’IA.

Cependant, les capacités des outils IA évoluent si rapidement que lors d’un projet, la méthodologie pour évaluer le bénéfice et les limites de l’utilisation d’une IA par rapport au moteur de recherche, doit être réajustée constamment. Notamment concernant les méthodes de vérification de la fiabilité des sources citées par l’IA lors d’une recherche documentaire.

En effet, les modèles multi-agents, où des IA communiquent entre elles pour affiner les requêtes, se développent. De plus en plus d’interfaces adaptatives apprennent les préférences des utilisateurs et reformulent automatiquement leurs demandes. Les assistants contextuels deviennent capables d’inférer l’intention au-delà des mots exprimés.

Maintenant, des outils IA permettent de comparer le résultat de plusieurs modèles et explicitent avec des données chiffrées, l’impact sur l’environnement, pour sensibiliser l’utilisateur.

Toutefois, l’interrogation demeure sur la pertinence de la pratique pour la construction des apprentissages de l’élève et de son identité. Il se crée une différence entre la simple recopie in extenso d’une réponse de l’IA et l’ajustement par l’élève de la réponse obtenue grâce à des itérations successives. Autre option, l’élève consulte l’IA pour avoir de nouvelles idées puis construit son texte et finalement se fait assister par l’IA pour améliorer son texte.

Il est vrai que l’IA peut privilégier, selon les modèles de langage, certaines formulations consensuelles et stéréotypées, réduisant la diversité linguistique ce qui génère un certain nivellement du style d’écriture. Cette uniformisation peut décourager l’élève à s’investir dans un processus créatif devant ce résultat si rapide. Ce qui peut l’inciter à accepter passivement les suggestions de l’IA, sans effort pour apporter sa touche personnelle.

Cependant, l’équipe pédagogique peut aider l’élève, dans une démarche d’intelligence collective, à contourner ces risques et à adopter une approche active et critique. L’IA ne doit pas remplacer la créativité humaine mais la compléter. La valeur ajoutée de l’IA apparaît dans la création de quiz et de fiches de révision, dans une recherche de personnalisation des apprentissages. D’ailleurs, les suggestions de l’IA dans l’élaboration d’un résumé de texte ou d’un plan de dissertation permettent de lutter contre le syndrome de la page blanche et deviennent levier d’apprentissage.

[https://sydologie.com/2025/05/ia-et-redaction-vers-la-perte-dune-competence-cle/?utm_campaign=Newsletter%20sur%20la%20parentalit%C3%A9%20et%20l%27%C3%A9ducation%20num%C3%A9rique%20-%20n%C2%B076&utm_medium=email&utm_source=Mailjet]

De surcroît, la création autonome d’un contenu personnel grâce à une compréhension du processus de génération peut s’élaborer à travers la création d’un chabot personnalisé en paramétrant les réponses et le comportement de l’agent conversationnel. Puis, dans une démarche d’intelligence collective, de faire interagir les élèves pour l’optimiser.

L’élève a besoin d’apprendre à exploiter ces technologies comme outil de support pour ne pas devenir dépendant et atrophier sa capacité à réfléchir par lui-même. La posture de l’enseignant doit le guider dans l’écosystème des savoirs numériques du XXIème siècle pour développer ses compétences et rester maître du processus créatif et de ses valeurs identitaires et ce, tout en bénéficiant des apports de l’intelligence artificielle, grâce à une utilisation interactive et réflexive.

Le brainstorming ou remue méninges avec l’IA enrichit indubitablement la créativité humaine si l’humain demeure au contrôle et mobilise les compétences proprement “humaines” comme l’esprit critique, la résolution de problèmes ou la collaboration, permettant de distinguer notamment les biais de confiance ou de confirmation.

Mais où se trouve la frontière entre l’enrichissement de notre pensée et la délégation de notre jugement ?

[https://www.vousnousils.fr/2024/03/28/lia-va-renforcer-la-professionnalite-et-le-role-des-professeurs-documentalistes-683565]

Conclusion

Il s’agit de former des citoyens du numérique capables de maîtriser la technologie en leur fournissant les outils et le cadre permettant la liberté éclairée d’utiliser ou pas l’IA comme source d’information.

Nos travaux nous permettent de dégager deux pistes sur ces points :

Continuer d’étendre les bonnes pratiques :

Pour les élèves d’une utilisation éthique et plus durable :
Dans la conception de sa requête par exemple en tenant compte du partage de données sensibles ou personnelles dans les prompts ou encore en limitant les itérations afin de réduire l’impact environnemental. Il faut aussi connaître les différences entre les outils, garder son esprit critique sur du contenu généré automatiquement en gardant en tête la provenance et la subjectivité des données et préférer des outils de confiance, notamment les IA qui fournissent un accès aux sources.
Il faut continuer de faire très attention à son régime informationnel, à l’infobésité, aux biais, aux bulles d’informations…

Pour l’enseignant cela veut dire transférer les compétences enseignées qui restent fondamentalement les mêmes car essentielles, tout en les mettant à jour. Cela passe par une maîtrise des lois existantes (règlement européen IA – RIA) et à venir (Charte Education Nationale IA 2025 à venir ) qui encadrent les usages de l’IA en complément du respect du RGPD et le contexte technique et économique des éditeurs d’outils d’IA génératives qui s’étend au delà des GAFAMAT.

Pour l’Education nationale, en plus de l’établissement d’une charte des usages élèves et enseignants, il semble ainsi nécessaire de fournir des outils alternatifs, des formations techniques et une veille technique sur des outils mondiaux en mutation rapide.

Et questionner l’utilisation de l’IA :

Pour l’enseignant, nous avons pu expérimenter avec nos élèves, dans nos travaux, plusieurs pistes génératrices de questionnement, notamment :

En étudiant son impact environnemental

Il est un levier fort de la naissance dans les esprits du rapport bénéfices/risques de l’utilisation des outils IA.

En soulignant sa pauvreté et ses limites créatives

Comparer les réalités pratiques du processus créatif notamment artistique aux productions limitées et problématiques des IA génératives est également une source de questionnement sur l’intégrité et les droits de l’artiste et sur la pertinence de ces outils.

En encourageant l’intuition de l’élève

Explorer, décortiquer et valider les sentiments intuitifs naturels de malaise, de gêne ressentis par nos élèves en utilisant ces outils a également beaucoup de sens car ils renvoient directement à la moralité et aux artifices de ces outils.

Les défis sont grands mais la maison Éducation nationale possède déjà les atouts et l’arc-en-ciel des forces disciplinaires, créatrices de contenu, à sa disposition, afin d’éclairer et de déconstruire l’IA.

Ainsi, il nous semble important de proposer des projets encore élargis et sur du temps long nécessaires à la déconstruction des complexités, des mythes, obfuscations et mensonges entourant l’IA et pour permettre d’exploiter pleinement notre intelligence collective interdisciplinaire qui, sur ces questions, comme elle a su le faire sur d’autres, sait réunir ses forces et continuer de bâtir le cadre protecteur nécessaire à la formation du citoyen de demain.

Sources complémentaires :
IA Grand Remplacement ou complémentarité – Luc Ferry
Smart Until it’s Dumb – Emmanuel Maggiori, PhD
The Chaos Machine – Max Fisher
https://www.youtube.com/watch?v=EUrOxh_0leE AI does not exist but it will ruin everything anyway & https://www.youtube.com/watch?v=dKmAg4S2KeE the malicious optimism of AI-first companies – Angela Collier
https://www.youtube.com/watch?v=adHOG1nJ8js How AI Is ‘Draining Our Real World’ Zeteo – Naomi Klein
https://www.youtube.com/watch?v=iQV-NXTRtAI How AI Got a Reality Check – Bloomberg Original

Auteurs de l’article : Cédric Gamblin, professeur de physique chimie et technologie, Collège Henri Wallon, Nice, Caroline Albertini, professeure documentaliste, Collège Henri Wallon, Nice, Emmanuelle Doucet, professeure documentaliste, Collège de l’Archet, Nice, Sophie Duval et Daïna Laravine professeures documentalistes, Orléans Tours, Aurélien Dufromont, professeur documentaliste, Collège Carlin Legrand de Bapaume, Lille, Brigitte Trousse, chercheuse au Centre Inria d’Université Côte d’Azur et membre de Terra Numerica.