Apprendre à travailler avec l’IA au Collège :
Utiliser l’IA conversationnelle pour apprendre et progresser à l’écrit comme à l’oral
M. Clerc - collège Le Pré des Roures - Le Rouret
Projet
- L’expérimentation est proposée à des élèves de troisième.
- L’attention est portée sur différentes solutions d’IA conversationnelles. L’objectif premier est de conduire les élèves à ne plus l’utiliser comme une fin en soi, mais comme un outil, similaire au final à bien d’autres, qu’il convient de mobiliser pour préparer l’oral du Diplôme National du Brevet (partie exposé et partie entretien). L’objectif second est d’authentifier l’IA la plus efficiente dans un cadre scolaire.
- Le but est également de faire évoluer les pratiques d’enseignement (formations d’enseignants à venir) en invitant les professeurs à avoir recours aux IAs conversationnelles en accompagnant cette démarche d’un travail de formation au questionnement des sources, cœur de notre métier.
- Compétences travaillées : questionnement de la source, exercice de l’esprit critique, construction incrémentielle de la connaissance et de la maîtrise d’un sujet de son choix.
IA utilisées : Chat GPT (https://chatgpt.com), Gemini (https://gemini.google.com/app?hl=fr), et Mistral (https://mistral.ai/fr)
Expérimentation
- J’exerce la responsabilité de référent numérique dans mon établissement depuis plusieurs années déjà. Je suis également chargé de mission pour le CLEMI et je participe enfin aux travaux du groupe numérique académique HG-EMC centré sur les usages numériques dans ces disciplines. A ce titre j’échange beaucoup autour des pratiques numériques avec mes collègues au sein de l’établissement ou plus largement lors des temps de rencontre avec mes pairs dans l’Académie ou lors de formations.
- Je constate, comme tous sans doute, que la question de l’IA est devenue centrale depuis l’année dernière. Parce qu’elle s’est imposée dès 2024 dans le débat public, parce qu’elle est « rentrée » subrepticement puis massivement dans nos classes la même année, « poussée » par les applications populaires utilisées par nos élèves, puis en 2025 parce qu’elle s’est imposée comme une préoccupation institutionnelle et étatique.
- L’IA, en particulier dans sa forme conversationnelle, interroge profondément nos métiers. La crainte de se voir dépossédé de notre rôle de transmetteur de savoirs est palpable chez nombre de nos collègues. Elle est d’ailleurs légitime, des prescripteurs en quête d’économies auront tôt fait de vouloir nous remplacer par Gemini, Chat GPT ou d’autres solutions numériques, pour « le bien des élèves ». Nous tous savons le danger de ces orientations, à court, moyen ou long terme.
- Pour autant, les outils sont là. L’IA est là. Elle est performante, et les élèves qui nous parviennent l’utilisent déjà énormément et l’utiliseront plus encore demain. Penser pouvoir faire sans, dans le cadre éducatif, serait comme imaginer enseigner en se privant d’électricité ou de calculatrice.
- Une partie de notre travail consiste à souligner les écueils de l’IA dans ces différentes formes. Comme beaucoup d’autres collègues, c’est ce que je m’attache à faire. Questionner la source est le cœur de notre métier, c’est un présupposé naturel et essentiel.
- Mais il reste cependant une question centrale : face à cet outil qui donnera de plus la en plus « la bonne réponse », de plus en plus vite et sans efforts, quelle est la plus-value de l’enseignant ? Humainement, pour nous , professionnels de l’éducation, la question ne se pose pas, rien ne remplace l’échange, le face-à-face, dans la construction du savoir. Mais face à une IA qui « sait tout », et surtout qui « fait tout », où se positionnent la relation enseignant-élève et la construction-appropriation du savoir ?
- C’est en lisant un article sur le site « The Conversation » que j’ai découvert sous la plume de Régis Martineau , Docteur en Management et enseignant à l’ICN Creative Business School, l’existence de Joseph Jacotot. Il s’agit d’un pédagogue, d’esprit très libertaire, qui a sillonné les universités d’Europe du Nord au début du XIX ème siècle et qui a eu la particularité d’apprendre la langue française à des Flamands sans connaître un mot de leur langue, donc sans pouvoir interagir verbalement avec eux. Sa pédagogie, renommée « Méthode du Maître Ignorant » par le philosophe et chercheur Jacques Rancière [RANCIERE, Jacques. Le Maître ignorant, cinq leçons sur l'émancipation intellectuelle, Fayard, 1987],
« pose pour principe que l’on n’apprend vraiment que ce dont on a soi-même besoin. Par exemple, les enfants apprennent leur langue maternelle sans aucun cours : ils apprennent par tâtonnement, par essai-erreur, par persévérance et effort, et surtout, par nécessité. C’est ce savoir qui sera réellement approprié pour toute la vie. Dès lors, le principal rôle du professeur est de vérifier que l’apprenant fait, réellement, un effort sur son apprentissage.
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Mises en oeuvre
- La démarche pédagogique consiste à confronter les élèves à des sujets d’études et de les laisser travailler seuls puis avec une IA conversationnelle. L’objectif n’est pas la réponse en soi, l’enseignant la connait, l’IA la trouvera. L’objectif est le cheminement : comment l’élève s’approprie-t-il les données livrées par l’IA, comment les questionne-t-il, comment les intègre-t-il, comment les défend-il face aux questions et objections ?
- Pour y parvenir, Régis Martineau propose d’accompagner le travail de l’élève par un dialogue, répété autant de fois que nécessaire, reposant autour de 3 questions fondamentales :
Qu’est-ce que c’est ? : « par cette question, on demande à l’apprenant de nous parler de quelque chose, de décrire et de faire comprendre à l’autre ce dont il parle. Bien entendu, (l’IA conversationnelle) peut le faire avec talent à la place de l’étudiant, et c’est bien là le problème. Avec les méthodes traditionnelles, qui consistent à vérifier qu’une « bonne réponse » attendue a été apportée par l’étudiant subsistera toujours le doute que cette « bonne réponse » n’a pas été artificiellement fabriquée. Avec la méthode du Maitre Ignorant, en revanche, on pourra déceler facilement qu’une appropriation n’a pas eu lieu : le discours est stéréotypé, trop lisse, trop superficiel, etc. À la première tentative d’approfondissement, ce discours s’effondrera. L’apprenant se rend compte alors que (l’IA conversationnelle) ne suffit pas, car, ce qui lui manque, ce ne sont pas les réponses, mais le vécu d’apprentissage, le chemin parcouru, qui donnera chair à son propos ». [RANCIERE, Jacques. Le Maître ignorant, cinq leçons sur l'émancipation intellectuelle, Fayard, 1987]
Quelles sont les sources utilisées ? : Le dialogue avec l’élève permet très rapidement de constater si ces sources ont été réellement consultées, comprises, interrogées. Comme nous allons le voir dans un instant cette question a aussi l’intérêt de sensibiliser les élèves à la qualité du sourcing en fonction des IAs utilisées.
Qu’est-ce qui est intéressant ? : Dans le dialogue avec l’enseignant, l’élève sera peu à peu capable de faire ressortir les points essentiels à la compréhension du sujet. L’appropriation sera alors effective : l’élève sera en position de maîtrise d’un sujet. La plus-value essentielle de l’enseignant se joue sans doute ici, dans cette capacité à solliciter l’esprit critique.
La « méthode du Maître Ignorant » ne prétend pas se substituer à la relation « maître-élève » classique. Nos métiers reposent sur une transmission évidente du savoir. Mais dans le cadre d’activités ponctuelles, elle permet de ramener l’IA générative au rang d’outil qui, au même titre qu’un dictionnaire par exemple, ne constituent pas une fin en soi mais un simple vecteur d’acquisition, d’appropriation de connaissances.
La préparation des deux parties de l’oral du DNB
- L’expérimentation prend place dans le cadre des heures dédiées à la préparation de l’épreuve orale du DNB. L’établissement dans lequel j’exerce permet la mise en place de demi-groupe, cadre idéal pour tenter de nouvelles approches pédagogiques.
- Des comptes génériques ont été créés sur les tablettes IPads dont nous disposons. Cela permet un accès à la version gratuite des IAs conversationnelles que nous voulons utiliser dans ce travail.
- Dans un premier temps, l’heure de cours est dédié à un point sur le travail réalisé pour réaliser le point sur le dossier préparé par l’élève à la maison pour sa partie « exposé » de l’épreuve orale. En tant qu’enseignant, je pointe l’ensemble des mots-clés nécessitant une preuve de maîtrise de connaissances ou susceptibles de donner lieu à une question du jury, plus ouverte, dans la partie « entretien » : un nom propre, la mention d’un courant artistique, d’un événement précis. L’élève en fin de présentation est questionné sur ces mots clés. A chaque fois qu’il ne sait pas, il doit interroger l’IA conversationnelle pour approfondir ses connaissances. Régulièrement, la question « qu’est-ce qui est intéressant ? » revient, pour évaluer la capacité de l’élève à synthétiser, à s’approprier les connaissances qu’il met en avant.
- Un second élève, son « binôme », a assisté au travail et fait la même chose à son tour avec l’enseignant, sous l’œil de son camarade. La démarche est acquise, ils sont à présent autonomes (ou pourront bien entendu bénéficier a posteriori de l’aide et des conseils de l’enseignant, surtout sur la question « Qu’est-ce qui est intéressant ? ») : ils continueront sur les séances suivantes à développer la méthode du « Maître Ignorant » et approfondiront à chaque fois la connaissance globale du sujet choisi, en incluant les sources les plus pertinentes possibles.
Un point particulier sur le travail de réflexion autour de la source : mise en concurrence des solutions d’IAs conversationnelles
- Les élèves utilisent pour la plupart l’IA générative spontanément, sans consulter les sources. Or dans la méthode développée à l’instant cela devient une question centrale. La démarche du « Maître Ignorant » est aussi un vecteur d’apprentissage des bons choix d’IA : Interrogées sur la question « Résume moi la vie de Léon Blum », Chat GPT et Gemini livrent un résultat rapide, mais sans sourcing. Lorsque dans le prompt on demande les sources, puisque l’enseignant va les demander, pour évaluer leur qualité, les deux IAs restent très génériques : Chat GPT indique s’appuyer sur un corpus de 2021, sans donner de précisions, et sur quelques sources libres.
- Gemini fait mieux, et cite des références plus précises, mais sans donner de liens concrets.
- Mistral, quand il est interrogé sur les sources, les produit, et permet l’accès à un panneau latéral cliquable pour les consulter en direct.
- Actuellement, dans une démarche de construction honnête et éclairée du savoir, Mistral est le meilleur choix. Cela pourra changer, mais la démarche de questionnement des sources permettra aux élèves de s’adapter.
Le retour des élèves
- Les élèves de la classe qui ont conduit l’expérimentation ont été invités à donner leurs impressions à l’issue du travail mené. Voici quelques transcriptions « brutes » :
Élève 1 : « Je vais être honnête, c’est Chat (GPT) qui a préparé mon dossier sur Guernica. J’ai aussi vu une vidéo sur TikTok. Je pensais être au point mais (le professeur) m’a (coincé) sur les premières questions : la guerre civile, Franco, (je n’étais pas prêt). Les deux cours avec les Ipads m’ont permis de rajouter plein de points dans mon dossier, je pense que maintenant ça va aller ».
Elève 2 : « J’ai travaillé mon dossier avec mon père. Il travaille dans ce domaine. Mais du coup j’avais très peu de (sources). J’ai pu les rajouter avec les deux séances ça a permis de finir mon travail ».
Elève 3 : « Mon oral parle de mon projet d’orientation. Du coup l’IA ne m’a pas été trop utile. Mais par contre quand mon binôme me demandait de préciser un mot, je m’en suis servi ».
Elève 4 : « Je n’ai pas trop aimé ce travail. Tout le monde utilise Chat(GPT) en Anglais, en Maths, c’est pas ça travailler. J’ai préparé mon oral avec des sites, c’est carré ».
- Ces avis divers convergent toutefois vers l’idée qui était centrale au début de l’expérimentation : l’IA a été ramené au rôle d’outil, que certains vont s’approprier, à des degrés divers, et d’autres moins. L’expérimentation sera reconduite l’année prochaine pour évaluer les évolutions des IAs conversationnelles et pour approfondir la démarche.