Captologie et leviers de dépendance

Dans le cadre des TraAM EMI 2021-2022, la créativité est au cœur de la réflexion des apprentissages autour des cultures numériques. L’un des sens de la créativité est celui d’un dépassement d’obstacles, d’une capacité à imaginer des solutions vers une émancipation citoyenne et critique. 
Le citoyen de demain doit être un citoyen informé et attentif.  Il doit développer une connaissance critique de l’environnement informationnel du XXIe siècle, comprendre les enjeux économiques du marché de l’attention, expérimenter l’usage par les géants du web des biais cognitifs et connaître les différentes techniques utilisées pour capter l’attention des utilisateurs.  Enfin, il doit se questionner sur ses propres usages du numérique.
Comment accompagner nos élèves vers le développement d’une culture numérique citoyenne leur permettant de comprendre les enjeux du monde de demain ? 
Cet article est le fruit d’une collaboration interacadémique entre les académies de Besançon et de Nice.  Il propose des pistes de réflexion et des pistes pédagogiques pour aborder cette thématique. Nous définirons dans un premier temps la captologie et des gains engendrés par les GAFAM. Nous aborderons ensuite les leviers de la dépendance et les biais cognitifs les plus fréquemment utilisés par les réseaux sociaux. Enfin, nous présenterons des exemples de projets ou d’actions à conduire avec les élèves.
 
Qu’est ce que la captologie ? 
Interrogé par les journalistes du site l’ADN, B.J.Fogg , présenté comme le père de la captologie, définit cette science en ces termes : “À l’origine, c’est un acronyme : Computers As Persuasives Technologies. […] le vrai sens du terme, c’est l’étude des ordinateurs comme outils de persuasion.” Définition de la captologie, science de manipulation – Interview B.J. Fogg (ladn.eu). Il utilise également les termes de “technologie persuasive” et de “design comportemental“.
Sur le site definitions-marketing.com modifié en 2020, Bertrand Barthelot, professeur agrégé de marketing, décrit la captologie en ces termes : “l’expression de captologie est surtout utilisée dans un sens un peu plus particulier pour désigner les techniques de design des interfaces destinées à capter l’attention des utilisateurs, voire à les rendre “addicts”. Le terme de captologie est notamment employé pour évoquer ou “dénoncer” les pratiques de “manipulation par le design” utilisées par les réseaux sociaux et surtout Facebook pour attirer l’attention de leurs utilisateurs et pour rendre leurs plateformes addictives.”
Dans le documentaire Derrière nos écrans de fumées du réalisateur Jeff Orlowski sorti en 2020, d’anciens employés des GAFAM témoignent des fonctionnalités qu’ils ont été eux-mêmes amenés à implémenter dans les outils numériques afin de maintenir l’utilisateur connecté le plus longtemps possible.  
 Tristan Harris, ex-ingénieur de Google, souligne en 2018-2019 que : “« tout le monde, sans exception, est influencé par des ressorts qu’il ne voit pas. Exactement comme dans un tour de magie », en rappelant la manie que nous avons de vérifier sur notre téléphone les notifications ou de simplement scroller pour y voir la nouveauté suggérée (nous consultons en moyenne notre téléphone 150 fois par jour)” La captologie ou technologie persuasive – Chevaliers du web
 
Les pratiques de la captologie s’appuient sur l’exploitation de connaissances liées aux neurosciences. On parle aussi de “marketing de la dopamine” puisque l’objectif de ces manipulations est avant tout un gain financier énorme pour ces entreprises. 
La question de l’éthique liée à ce genre de pratique se pose de plus en plus dans l’environnement économique mondial actuel. Les entreprises de GAFAM engrangent à l’heure actuelle des bénéfices colossaux. En terme de valorisation boursière, ces entreprises se positionnent dans le classement à la 3ème place après les USA et la Chine. Leur présence sur les marchés économiques mondiaux font de ces entreprises des décisionnaires incontournables.
source :
L’économie du numérique peut être source de questionnements au travers d’apprentissages afin que les élèves puissent faire des choix plus éclairés. Lorsqu’une interface (site web, application, jeu vidéo) comporte des éléments susceptibles de piéger ou influencer l’utilisateur d’une manière impropre, on parle de Dark Patterns (“motifs sombres”).
Les leviers de la dépendance : 
    
Les réseaux sociaux utilisent tous les leviers à leur disposition afin de capter notre attention. En effet, plus nous restons connectés longtemps, plus les géants du web peuvent collecter de données personnelles leur permettant de dresser des profils utilisateurs de plus en plus complets, plus ils peuvent vendre de publicités ciblées. L’enjeu pour eux est de nous rendre dépendants en utilisant les leviers de la captologie dont les dark patterns.
 
 Les fonctionnalités des réseaux sociaux :
   
Des techniques multiples sont observées, les concepteurs de ces interfaces étant friands d’éléments de psychologie sociale (ex : poser un leurre d’urgence, c’est-à-dire un compteur pour faire miroiter la disparition prochaine d’une promotion) ou cognitive (jouer sur l’inversion des couleurs dans les boutons).
De fait, l’économie de l’attention et certaines techniques de persuasion dans le marketing couplées aux technologies informatiques (captologie) y sont des enjeux cruciaux.
Quelques exemples :
  • Les points de suspension dans les messageries, pour nous tenir en haleine quand quelqu’un nous écrit,
  • L’Infinite Scrolling ou pagination sans fin, que l’on retrouve dans des applications telles qu’Instagram,
  • Le Snapstreak dans Snapchat (système de “flamme d’amitié” que l’on doit entretenir tous les jours avec un contact, en communiquant avec, pour ne pas l’éteindre).
Liste de fonctionnalités :
Nous nous sommes appuyés sur l’expertise d’un groupe de collégiens pour lister les fonctionnalités implémentées par les réseaux sociaux pour nous inciter à nous connecter régulièrement :
– commentaires  
– questionnaires de centres d’intérêts (à la création du compte)  
– publication de vidéos uniquement  
– live (vidéos visibles en direct)
– pop-up publicitaires      
– snapscore  (algorithme unique qui intègre le nombre de Snaps envoyés à d’autres personnes, les histoires partagées une fois, ainsi que d’autres variables, selon l’application Snapchat)
– … en train d’écrire  
– emojis de relations  
– badges super fan
– filtres photos  
– publications éphémères  
– stories
– localisation  
– flammes
– commentaires  
– les réels (vidéos)  
– publication d’images  
– commentaires  
– raccourcis  
– followers/ abonnés  
– signaler/bloquer  
– messagerie  
– nombre de vues  
– partages  
– notifications (visuelles, sonores, vibrations)  
– publications en public ou en privé  
– likes/j’aime/ smileys  
– pull to refresh  
– infinite scroll  
– identifications (lieux, ou personnes)  
– propositions d’amis,  
– suggestions publicitaires  
– tendances  
– fils d’actualité  
– statistiques de vues …
 
Une réflexion peut être conduite avec les élèves sur l’intérêt de ces fonctionnalités et les effets provoqués chez les utilisateurs : 
     – circuit de la récompense 
     – influence par le groupe
     – narcissisme.
 
Les réseaux sociaux utilisent toutes ces fonctionnalités pour capter notre attention. Ces fonctionnalités sont implémentées par des ingénieurs. Il existe également des biais cognitifs qui influencent nos perceptions.
 Les biais les plus courants que nous avons pu identifier au cours de notre projet sont les suivants : 
Instinct grégaire et phénomène de groupe : 
Le comportement grégaire est ainsi défini sur Wikipédia : il “décrit comment les individus d’un groupe peuvent agir ensemble sans direction prédéterminée. Le terme s’applique au comportement des animaux vivant en troupeaux, ainsi qu’à celui des humains lors des manifestations, émeutes, grèves, files d’attente, événements sportifs ou religieux, ou simplement dans les processus quotidiens de prise de décision et de façonnage de l’opinion.” Les réseaux sociaux numériques, loin de créer ce phénomène de groupe, l’amplifient et permettent la satisfaction rapide d’un besoin séculaire d’appartenance à un groupe et de reconnaissance par les pairs : création d’un réseau, liste de contacts, reconnaissance sociale, besoin de popularité. 
C’est ce biais que les fabricants de fake news utilisent pour augmenter la visibilité de leurs publications grâce à la création de communautés fictives, et de faux profils.
 Le FOMO : fear of missing out
 Il s’agit de la peur de manquer quelque chose. Concrètement, il induit le besoin de se connecter régulièrement afin de ne pas être la personne qui a raté la publication la plus tendance. 
L‘appel aux figures d’autorité
“Les spécialistes du marketing savent que l’un des moyens les plus convaincants de vendre quelque chose est d’obtenir un témoignage.” Les réseaux sociaux placent tous les utilisateurs à égalité permettant ainsi à chacun de devenir figure d’autorité. La théorie des cordes fait appel à l’autorité – La Physique (mydumpsterrentals.com, 2022). La navigation sur Internet permet d’accéder à de nombreux témoignages faisant appel à nos émotions. Ainsi, nous partageons du contenu afin de partager une émotion avec notre réseau social. Nous y voyons le moyen de nous rassurer sur nos propres ressentis. 
     Pour déconstruire :  vidéo L’appel à l’autorité – La petite boutique des erreurs #12 (La tronche en biais, 2022)
Le biais de confirmation : 
Le biais de confirmation est un biais très fréquent qui nous conduit à ne chercher que des informations confirmant notre hypothèse initiale ou à négliger ou ne pas croire les informations allant à l’encontre de notre hypothèse.  Comme décrit plus haut dans la présentation, les réseaux sociaux  numériques nous confirment nos opinions en ne nous proposant que des contenus susceptibles de nous intéresser grâce à des algorithmes complexes. Le danger est de conduire chaque personne à s’enfermer dans un mode de pensée unique et personnel. Le gain pour les géants du web est toujours lié à l’univers de la donnée personnelle. Plus nous partageons, plus notre profil utilisateur est complet et plus nous prenons le risque de nous laisser enfermer dans un mode de pensée unique. Le risque de clivage sociétal est ainsi amplifié. 
    Pour déconstruire : 
Sur sa chaine vidéo Info ou mytho, Luc Langevin, illusionniste, explique comment le cerveau peut facilement être trompé. Dans cette vidéo, il illustre le biais de confirmation :
Le circuit de la récompense : 
Les réseaux sociaux numériques activent les circuits de la récompense grâce aux diverses notifications dont nous sommes gratifiés : badges, flammes, cœurs, notifications. Tout ces artefacts sont autant de moyens de nous garder attentifs. De la même façon, les jeux numériques proposent des récompenses quotidiennes. 
Il en découle que plus je partage d’informations, plus je suis susceptible d’avoir de vues et d’interactions avec mon groupe.
Le biais de la tache aveugle, ou biais de l’angle de mort de polarisation, ou encore illusion de l’unique invulnérabilité : 
Le biais de la tâche aveugle est caractérisé par le fait que nous sommes persuadés que l’existence et le fonctionnement des biais cognitifs sont beaucoup plus présents chez les autres que chez nous. Nous avons conscience de l’impact des préjugés sur le raisonnement des autres, mais peu sur nos propres jugements. https://blog-psychologue.fr/biais-cognitif-tache-aveugle/
Ainsi travailler sur la démonstration des biais permet-il de prendre conscience de leur impact sur notre quotidien.
   Idée pour déconstruire : utiliser le codex des biais cognitifs pour conscientiser les biais qui nous biaisent. Vous pouvez par exemple partir de cette liste pour identifier chacun un ou deux biais récurrents dans votre quotidien : Codex des Biais Cognitifs (inertian.wixsite.com, 2016)
A ce propos, une table ronde s’est déroulée aux REC (Rencontres Esprit Critique) récemment sur le thème : “déjouer ses biais cognitifs : vraie ou fausse bonne idée ?”. Pascal Wagner-Egger (psychologie cognitive), Albert Moukheiber (neurosciences) et Charlotte Barbier (sciences de l’éducation) ont abordé des méconceptions sur les biais qui peuvent être intéressantes (“on voit davantage chez les autres que chez soi”, “ce sont des raccourcis qui dépendent du contexte, de la forme, et sont utiles dans certains cas”, certains sont observés dans des conditions “spéciales en labo”…).
Un ensemble de chercheurs synthétisent en septembre 2021 la littérature sur les biais cognitifs et les controverses dans une “Synthèse sur l’éducation l’esprit critique” dont un extrait est disponible sur https://www.estim-mediation.fr/v2/wp-content/uploads/2021/09/Heuristiques-et-biais-cognitifs-VF2.pdf.
 Il en ressort que : 
  • les biais cognitifs sont un sujet complexe à appréhender en éducation.
  • chaque biais est “démontré” dans des situations particulières, et le terme “biais” regroupe des éléments très disparates.
  • des “débiaisages” peuvent être utiles dans des situations spécifiques (prise de décision médicale par exemple).
  • dans de nombreuses situations du quotidien, il n’est pas forcément nécessaire de les déconstruire car ils nous aident (Gigerenzer) ou certains sont utiles pour l’argumentation (exemple du biais de confirmation pour justifier ses inférences. H. Mercier)
  • on a davantage tendance à voir des biais chez les autres que chez soi, malgré leur connaissance.
  • pour autant, on peut les évoquer avec les élèves, pour faire appel à la métacognition, pour réfléchir aux tentatives des plateformes de capter notre attention à l’aide de nos raccourcis psychologiques, et réfléchir à comment mettre en place des stratégies pour s’en prémunir. Par exemple, comprendre comment une application exploite le FOMO ou l’effet IKEA : il semblerait que nous aimions plus ce que nous fabriquons ! (exemple : construire son propre personnage).

Rappel des compétences scolaires et numériques engagées dans une action de sensibilisation aux biais et à la captologie 
CRCN Domaine 2 : communication et collaboration 
Compétence 2.4 : s’insérer dans le monde numérique 
De quoi s’agit-il ? (Décret n°2019-919 du 30 août 2019) Maîtriser les enjeux de la présence en ligne, développer des stratégies et des pratiques autonomes en respectant les règles, les droits et les valeurs qui leur sont liés, pour se positionner en tant qu’acteur social, économique et citoyen dans le monde numérique, et répondre à des objectifs (avec les réseaux sociaux et les outils permettant de développer une présence publique sur Internet, et en lien avec la vie citoyenne, la vie professionnelle, la vie privée…). 
Références au socle commun de connaissances, de compétences et de culture : accéder à un usage sûr, légal et éthique pour produire, recevoir et diffuser de l’information (Domaine 2 – Médias, démarches de recherche et de traitement de l’information) ; comprendre les enjeux et le fonctionnement général des différents médias afin d’acquérir une distance critique et une autonomie suffisantes dans leur usage (Domaine 2– Médias, démarches de recherche et de traitement de l’information).
Thématiques et mots-clés associés (Pix) : identité numérique et signaux ; e-réputation et influence ; codes de communication et nétiquette ; pratiques sociales et participation citoyenne ; modèles et stratégies économiques ; questions éthiques et valeurs ; gouvernance technique d’internet et ouverture du web ; liberté d’expression et droit à l’information ; enjeux politiques (défense nationale, pratiques électorales…). 
CRCN Domaine 4 : protection et sécurité  
Compétence 4.2 : protéger les données personnelles et la vie privée
De quoi s’agit-il ? (Décret n°2019-919 du 30 août 2019) Maîtriser ses traces et gérer les données personnelles pour protéger sa vie privée et celle des autres, et adopter une pratique éclairée (avec le paramétrage des paramètres de confidentialité, la surveillance régulière de ses traces…). 
Références au socle commun de connaissances, de compétences et de culture : savoir ce qu’est une identité numérique (Domaine 2 – Outils numériques pour échanger et communiquer) ; être attentif aux traces laissées (Domaine 2 – Outils numériques pour échanger et communiquer) ; comprendre la différence entre sphères publique et privée (Domaine 2 – Outils numériques pour échanger et communiquer).
Thématiques et mots-clés associés (Pix) : données personnelles et loi ; traces ; vie privée et confidentialité ; collecte et exploitation massives de données massives (big data). 
Aspect éthique des réseaux sociaux : 
CRCN Domaine 2 : Communication et collaboration
Compétence 2.2 : partager et publier
De quoi s’agit-il ? (Décret n°2019-919 du 30 août 2019) Partager et publier des informations et des contenus pour communiquer ses propres productions ou opinions, relayer celles des autres en contexte de communication publique en apportant un regard critique sur la nature du contenu (avec des plateformes de partage, des réseaux sociaux, des blogs, des espaces de forum et de commentaires, de système de gestion de contenu CMS…). 
Référence au socle commun de connaissances, de compétences et de culture : publier, transmettre des documents intégrant divers médias, afin qu’ils soient consultables et utilisables par d’autres (Domaine 2– Outils numériques pour échanger et communiquer).
Thématiques et mots-clés associés (Pix) : protocoles et modalités de partage ; applications et services pour le partage ; règles de publication et visibilité ; réseaux sociaux ; liberté d’expression et droit à l’information ; formation en ligne ; vie privée et confidentialité ; identité numérique et signaux ; pratiques sociales et participation citoyenne ; e-réputation et influence ; écriture pour le web ; codes de communication et nétiquette ; droit d’auteur. 
Des exemples de projets ou actions

 

  • Projet de l’académie de Besançon : déjouer les dark pattern dans les interfaces. 

Ce projet, s’il s’inspire de travaux sur la psychologie (captologie, travaux sur l’attention, études sur les pièges monétaires, temporels, psychologiques des interfaces etc…), souhaite donner une dimension “sociale” et citoyenne au questionnement des pièges de ces interfaces, en s’appuyant également sur la Sociologie du numérique (D. Cardon, D. Boullier) et les sciences de l’éducation. On peut consulter par exemple la synthèse d’ Ephiscience-Ecole de la médiation (2020).

L’objectif, outre les tendances à tomber dans les dark patterns ou, à contrario, à savoir les déjouer, est de donner une dimension critique et citoyenne, en faisant émerger les stratégies créatives/critiques mises en place par les élèves pour outrepasser ces motifs. Il apparait en effet que ces plateformes en ligne, malgré des éléments de design et un modèle économique qui tend à capter l’attention et s’appuyer sur la psychologie sociale et cognitive, restent des espaces de socialisation et de créativité.

En vulgarisation, la vidéo de 2021 d’Hygiène Mentale (https://www.youtube.com/watch?v=VKsekCHBuHI) le biais et le bruit a été une tentative intéressante de montrer que l’adhésion à certaines informations problématiques n’est pas que le fait d’une éventuelle crédulité ou d’un manque de rationalité, mais également de causes externes ou de choix “raisonnables en fonction du contexte” (informations ambiantes contradictoires, manque de transparence, vécu oppressant, situation d’anxiété ou de colère, adhésion à un groupe ..). Le chercheur en Neurosciences Albert Moukheiber pose également les limites d’une telle approche dans l’article de 2020 https://www.liberation.fr/debats/2020/05/13/au-dela-d-une-vision-confinee-du-cerveau-humain_1788173

Les biais cognitifs étant d’une part souvent des corrélations (et non pas forcément la cause d’une adhésion ou d’une décision), issus d’expériences bien particulières, regroupant des éléments très disparates, et d’autre part étant contextuels (utiles dans la plupart des cas), il s’agissait de sortir d’une vision d’attitudes “déviantes” pour comprendre les mécanismes (visuels, rhétoriques, etc..) des dark patterns (comment les dépasser ou s’ en prémunir selon le contexte de chacun, dans un cadre dialogique). Il reste par ailleurs difficile, voire réducteur, d’attribuer une décision à un seul biais (même si la découverte de certains biais peut permettre une mise en réflexivité). D’autre part, on peut choisir volontairement une décision qui n’est pas celle qui est vue comme optimale, voire connaître ces astuces des designs des plateformes et être dans une posture de “quand bien même” (Voir D. Boullier Sociologie du numérique). Ce qui ressort de l’activité est l’importance du collectif : marquer un temps d’arrêt, comparer, discuter avec des pairs permet de mieux cerner des expériences en ligne similaires à celles d’autres élèves, et de découvrir les idées créatives de chacun.

 

Au delà des éléments psychologiques que cette économie du Web tenterait d’exploiter, nous avons donc voulu orienter la réflexivité des élèves sur leurs usages et réfléchir collectivement à ce qui serait plus éthique pour les utilisateurs, dans leur rapport à ces outils/interfaces. On articule donc une réflexion sur l’activité des élèves mais aussi sur un modèle économique dans un cadre démocratique.

 

Extraits de l’article présentant le projet de Besançon. 

 

  • Dans les discussions avec les élèves sur les dark patterns, on retrouve d’ailleurs des traits positifs : ils ont en général conscience de ces éléments et peuvent user de stratégies afin de se prémunir de ces petites manipulations. Leur rapport à ces dark patterns peut dépendre de leur attention à un moment donné, de leur connaissance de l’interface, de leur rapport au produit ou service impliqué. On peut donc se servir de cette “conscience” comme levier, y compris pour en discuter dans le groupe classe. Les réflexes et solutions évoquées par les élèves sont présentées plus bas (partie “déroulement”).
  • En terme d’apprentissage, les points suivants ont constitué un fil directeur :
  • Discuter de stratégies économiques et comportementales liées à nos pratiques en ligne :  économie de l’attention, dark pattern, collecte de données, influences comportementales.
  • Développer un usage plus positif d’Internet : dépasser la vision polarisée des écrans “négatifs” ou des citoyens passifs.
  • Avoir conscience des mécanismes présents en ligne : conscientiser le cadre dans lequel on s’informe (gestion des flux d’information, chambres d’écho, captation de l’attention).
  • Développer des éléments d’esprit critique afin de s’émanciper d’éléments de l’économie de l’attention et des sollicitations comportementales.
  • Imaginer/ faire preuve de créativité : quelles solutions pour sortir de l’économie de l’attention ou de ces pièges ? Méthodes des élèves ? Réglages des algorithmes, définitions de règles, outils, alarmes et configuration, gestion de soi, etc…

 

Projets de l’académie de Nice: 
Projet 1 : création d’un parcours éthique des données en partenariat avec le collectif Terra Numerica de l’Inria : https://view.genial.ly/6239cdc0ba7a4c001813ed3a/interactive-content-ethique-des-donnees
Ce parcours fait l’objet de la rédaction d’un article pour les Traam EMI synthétisant l’ensemble de nos travaux dans ce domaine comme indiqué sur la carte mentale. La partie captologie est laissée libre pour être approfondie l’année prochaine : Traam EMI : Parcours éthique des données – Doc@zur (ac-nice.fr)
Le parcours sera présenté le 11 juin 2022 lors de l’inauguration de l’espace Terra Numerica. 
Projet 2 : biais cognitifs et fake news
Projet non abouti pour raison médicale. 5 semaines de travail sur les 7 initialement prévues ont pu être réalisées. La réflexion sur le lien entre biais cognitif et captologie a été faite auprès de nos élèves gros décrocheurs de la classe relais du collège Sidney Bechet dans le cadre d’une collaboration entre Mme Duflos (enseignante spécialisée) et Mme Rouard (professeure documentaliste).
Nous avons en parallèle travaillé sur les biais cognitifs, en utilisant une conférence d’Albert Moukheiber et les vidéos “info ou mytho ?”
Les élèves ont fait le lien entre fonctionnalités des réseaux sociaux et dépendance. Ils ont également perçu que les mêmes biais cognitifs nous trompent dans le décodage des informations. Ils ont ensuite bénéficié d’une séance de 2 heures sur les fake news avec le Bureau d’Information Jeunesse de notre ville. L’objet de production initialement prévu est un jeu de société.
 
Séance 1 : dépendance aux réseaux sociaux
En classe : élaboration d’un questionnaire sur les usages des réseaux sociaux.
L’objectif est d’amener les élèves à se questionner sur leur utilisation des réseaux sociaux et sur leur dépendance à ces outils. 
Questionnaire sur l’usage des réseaux sociaux : observons nos pratiques (https://www.askabox.fr/liste-116671-TA3OpKaHFfZ.html).
Un temps est pris avec les élèves afin de lister toutes les fonctionnalités des réseaux sociaux :     
Tik tok      
Snap      
Instagram      
Facebook      
Tous        
–> fonctionnalités trouvées : 
 –> Une réflexion est ensuite conduite avec les élèves sur l’intérêt de ces fonctionnalités et les effets provoqués chez les utilisateurs : 
     – circuit de la récompense 
     – influence par le groupe
     – narcissisme
     –> Nous expliquons que les réseaux sociaux utilisent les biais cognitifs pour capter notre attention et nous rendre dépendants. Cela leur permet de collecter plus de données sur les utilisateurs et ainsi de vendre plus de publicités ciblées. 
Séance 2 : travail sur la notion de biais cognitif.
Nous décidons d’expérimenter le point aveugle  afin de démontrer que les perceptions sont aléatoires et que nous sommes tous influençables. Ces expériences sont développées ci dessous :
Cette conférence nous apprend que : 
Notre cerveau :
1/ Comble les ambiguités → danseuse
2/ Nous raconte des histoires → rummikub
3/ Fait des prédictions approximatives et des heuristiques → questions sur la couleur blanche
4/ A des automatismes → test de stroop (couleurs)
5/ A des biais cognitifs → ex : illusion de connaissance, effet Dunning Kruger
6/ Notre perception dépend du contexte → test sur l’épidémie, aversion au risque
7/ Les incitations ou nudges → biais intentionnel/ incitation positive, ex : autocollant de la mouche…
[ces nudges sont à opposer aux dark pattern. Nous faisons le lien avec les élèves]
 8/ Nous informe du processus cerveau 1 cerveau 2
 –> la démarche de questionnement des informations est plus coûteuse à mettre en oeuvre. 
Séance 3 :
Rappel vidéo Albert Moukheiber pour les absents avec ajout de nouvelles expériences. Les élèves sont très interessés par ces expériences :
– le top des 5 illusions d’optiques : https://www.buzzwebzine.fr/top-5-des-illusions-doptique-a-redecouvrir/ (lignes, échiquier d’Adelson, vidéo fixer un point pour faire apparaître la couleur).
Diffusion de deux vidéos “Info ou mytho” avec des pauses pour expliquer les tours de magie :
+ tour de magie de carte dans la classe avec l’enseignante
Séance 4 : étude du codex des biais. 
Nous cherchons des exemples dans notre vie quotidienne. 
Séance 5 : réflexion autour de la conception de notre jeu de société.
– Ce jeu sera organisé en deux parties : 
    – une roue des biais cognitifs : cela implique que nous devons identifier 6 biais utilisés par les réseaux sociaux pour nous rendre dépendant. Lorsque le joueur tournera la roue, il devra associer au biais, sur lequel la roue le place, les fonctionnalités des réseaux sociaux numériques pour lesquelles nous allons créer des vignettes. 
    – des cases info ou infox : les élèves préparent des cartes avec de vraies et fausses informations. Cela nous permet de les sensibiliser à l’existence de sites de vérification de type Décodex. 
Séance 6 :  jeu Info ou infox. 
Jeu de carte récréatif pour lequel nous décidons de mettre en œuvre un procédé de jeu différent afin d’initier chez les élèves une démarche de vérification des informations. Notre objectif est ici de développer une démarche de questionnement associée à la zététique. Les élèves sont sur des ordinateurs. Nous lisons une information. Les élèves doivent la vérifier en cherchant sur internet. 
Cette séance nous permet également de tester un élément que nous souhaitons ajouter au jeu dans le calcul des points :
– une réponse rapide et impulsive = activation du cerveau 1 impulsif = perte de points si la réponse est mauvaise.
– une réponse validée = activation du cerveau 2 = gain de points d’hygiène mentale.
 
Séance 7intervention du BIJ pour une séance de vérification des informations.
Cet article a été rédigé en collaboration avec Raphael Heredia, académie de Besançon.
Aller au contenu principal