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Aménager son CDITRAAM Documentation

L’intelligence collective au service du réaménagement des espaces info-documentaires 

Cet article collaboratif a été rédigé dans le cadre des TraAM Documentation 2023-2024 par :
Cassandra Buigues, professeure documentaliste au Collège et Lycée International de Valbonne, académie de Nice
Géraldine Rouard, professeure documentaliste au Collège Sidney Bechet d’Antibes, académie de Nice
Sonia Duflos, professeure de la classe relais du Collège Sidney Bechet d’Antibes, académie de Nice
Laureline Lemoine, professeure documentaliste au collège de Baccarat, académie de Nancy-Metz.
Il est fréquent que les pratiques des jeunes soient fondamentalement différentes à l’école et à la maison. A la croisée des chemins, le CDI est un lieu poreux entre ces deux mondes en terme de pratiques culturelles. En effet, les pratiques des élèves au CDI sont d’ordre scolaire mais aussi récréatives. Celles-ci entrent ainsi dans l’espace scolaire : mangas et autres lectures plaisir, activités manuelles tels que les origamis, activités ludiques telles que serious games et puzzles collaboratifs, etc. L’enjeu pour le professeur documentaliste est de concilier ces différentes activités pour répondre à des objectifs de développement de compétences. Il se fonde sur les besoins des usagers pour organiser les ressources documentaires dont il est le « maître d’œuvre”. (https://www.education.gouv.fr/bo/17/Hebdo13/MENE1708402C.htm).
Ainsi, les personnes qui fréquentent le lieu sont souvent invitées à participer à l’organisation et à la mise à disposition des ressources du CDI. On pense notamment aux jeunes “aides-CDI”/ »assistants du CDI » et à l’aide ponctuelle à la gestion par des élèves volontaires, aux suggestions d’achat ou encore aux coups de cœur des clubs lecture. Impliquer le public dans l’organisation du CDI a plusieurs objectifs : améliorer les taux de fréquentation du lieu et de rotation des collections, moderniser le type de ressources proposées, faire évoluer les interactions entre élèves et les responsabiliser. 
Cette démarche n’est pas nouvelle dans le milieu des bibliothèques où l’implication des usagers dans l’organisation des espaces et de l’accès des ressources s’est largement développée depuis une dizaine d’années, notamment via la méthode de biblio-remix (aussi dite bibliomix) (source https://books.openedition.org/pressesenssib/4275?lang=fr), démarche fondée sur l’intelligence collective. 
L’intelligence collective est prometteuse pour l’évolution des CDI par les élèves, pour les élèves. Elle peut être définie par ce que la plupart des auteurs s’accordent à en dire : « l’intelligence collective est différente de la somme des intelligences individuelles qui la composent » (Ribette, 1996). Cette idée est illustrée par l’adage : « tout seul on va plus vite, ensemble on va plus loin ».
Nous nous poserons la question suivante dans cet article : Quelle est la plus-value de l’intelligence collective pour impliquer les élèves dans la réorganisation des ressources et des espaces du CDI ?
Afin de répondre à notre questionnement, nous présenterons dans un premier temps les trois projets que nous avons conduits dans nos établissements respectifs. Dans un second temps, nous vous proposons un retour réflexif sur la mise en œuvre de l’intelligence collective au service de la réorganisation des espaces. Enfin, dans une troisième partie, nous réfléchirons à la place des ressources numériques audio dans nos CDI. 

Nos projets

Les projets qui sont présentés ici ont été menés dans trois CDI différents. Ils reposent sur l’intelligence collective, et ont tous eu lieu dans des collèges. Le premier porte sur la création d’un espace au CDI par des élèves allophones, pour des élèves allophones et les anciens qui viennent de quitter la classe d’apprentissage du français. Le second projet concerne les élèves volontaires du club « assistants CDI » pour redéfinir les usages, espaces et ressources du CDI pour toute la communauté. Enfin le troisième projet  vise à classer différemment les œuvres de fiction pour toute la communauté scolaire en impliquant des élèves gros décrocheurs de classe relais.
 Chaque projet est plus amplement détaillé ci-dessous :
 
  •  Au Collège International de Valbonne (06) : les UPE2A
Un projet est lié aux élèves à besoins éducatifs particuliers (EBEP) que sont les UPE2A « unité pédagogique pour élèves allophones arrivants », soit des jeunes résidant sur le territoire français, issus de l’immigration et « très peu ou pas du tout scolarisés dans leur pays d’origine ». La classe d’UPE2A était engagée sur la création d’un espace qui leur est destiné au CDI et qui prend en compte les futurs élèves de la classe, mais aussi les anciens élèves d’UPE2A scolarisés dans des classes normales, ayant toujours quelques besoins spécifiques. Ils ont pensé aux ressources, à l’emplacement, à la signalétique, à la décoration…
L’intelligence collective a été mobilisée à plusieurs reprises  pour faire émerger les idées et les peaufiner via le biblio-remix. Ce dernier s’appuie sur le processus du design thinking et il place l’usager au centre pour résoudre ensemble des problèmes complexes de façon créative voire innovante, ce qui a été observé dans les choix des ressources après des échanges à l’oral.
Ce projet est né du constat que ces élèves ne venaient pas en autonomie au CDI. Après discussion avec le collègue en charge de la classe, nous avons entamé un cycle de 1h à 2h hebdomadaires comprenant à la fois des lectures offertes sur le thème des contes et le projet de création. Les séances du projet de création ont porté aussi bien sur des ressources en lecture sur support imprimé (ils ont testé différents documents de différentes maisons d’édition selon leurs besoins et ceux d’un camarade qui n’a pas le même niveau de lecture) et audio (enregistrement collectif d’un conte africain), qu’en besoins matériels (ardoise pour s’entraîner…), et ce après avoir découvert différentes bibliothèques dans le monde et observé le CDI.
Aujourd’hui, l’espace est presque abouti : les ressources ont été sélectionnées, l’espace physique choisi et « meublé » (réarrangement seulement de l’existant), la signalétique est en cours de construction (les textes des panneaux et affiches sont trouvés mais il va falloir les illustrer). Il reste à écrire collectivement un conte à partir de leur mémoire collective puis à l’enregistrer.
Ce projet a été pensé sur l’absence totale de pré-requis pédagogiques, si on excepte celui de l’acquisition de la langue de scolarisation. Cela a été une réussite en termes de motivation des collégiens UPE2A et de la création de l’espace qui a duré plusieurs mois.

 

  • Au collège de Baccarat (54) : les « Assistants CDI »

Le deuxième projet dont il est question dans cet article a été mené avec le Club « Assistants CDI », composé cette année d’une dizaine d’élèves volontaires de la 6ème à la 3ème. Le club se réunit toutes les semaines quarante cinq minutes à la pause méridienne, et les séances sont animées toute l’année par la professeure documentaliste.

Le collège étant dans sa phase d’autoévaluation en vu d’un nouveau projet d’établissement, le projet du Club a été intégré à cette opération dans une démarche de projet et d’intelligence collective. Les élèves ont été invités à définir eux-mêmes une stratégie pour identifier les besoins des élèves concernant les activités hors temps de cours au collège, à élaborer des objectifs et des propositions concrètes, et à réaliser des modifications des espaces et ressources au CDI en fonction de leurs conclusions. La thématique de travail et la composition du groupe ont permis de travailler facilement en intelligence collective. A ce jour, les Assistants CDI ont réalisé une enquête statistique complète qu’ils ont présentée de façon formelle au Chef d’établissement,  et sont en train de réaménager 5 espaces du CDI à partir de leur analyse des résultats (espace « jeux éducatifs », espace « relax », espace « podcasts », espace « brico et déco », espace « webradio »). Ils ont également émis des suggestions pour développer les pratiques de « CDI dehors » qui étaient très ponctuelles jusqu’ici, en réponse à l’objectif le plus saillant de l’enquête tout public confondu (volonté d’activités en extérieur), et ont proposé de nombreuses suggestions d’activités pour le service de Vie Scolaire basées sur cette enquête. 

 

 

  • Au collège Sidney Bechet (06) : la classe relais

 

Le troisième projet est un projet réalisé avec des élèves en décrochage scolaire accueillis au collège dans le cadre du dispositif relais. Ce projet fait suite à un constat concernant les pratiques des collégiens depuis la crise sanitaire. La place de la lecture a fortement diminué contrairement à la place du numérique. Les élèves du collège n’ont pas été habitués à lire et recherchent de plus en plus des versions audio ou audiovisuelles des ouvrages empruntés. L’objectif de ce projet intitulé « Lecture pour tous » est de redonner goût à la lecture à tous les élèves du collège. Pour cela, les élèves de classe relais, faibles lecteurs dans l’imaginaire collectif, ont été associés aux choix concernant la réorganisation du CDI. Les élèves se sont réunis avec les enseignants tous les mardis après-midi pendant deux heures. Ils ont établi dans un premier temps un diagnostic du classement existant et des obstacles qu’il pouvait constituer pour l’accès aux livres de fiction. Puis ils ont ensemble réfléchi aux besoins des élèves à profils particuliers : de la couleur, des thèmes, un mélange des bandes dessinées avec les nouvelles et les romans, un espace lecture plus convivial. 

Tous les ouvrages de fiction ont été déplacés. Ce projet a impliqué beaucoup de manutention au fil de l’année mais certains élèves ont redécouvert des trésors. Une nouvelle signalétique colorée a été créée par les élèves qui ont également créé des logos à apposer sur les ouvrages afin de faciliter le classement. Un espace « petites lectures » et lectures avec audio a vu le jour dans le coin lecture également afin d’encourager les petits lecteurs à se lancer. Les élèves de la classe relais ont également été associés à la préparation d’une commande. Le projet donnera lieu à un projet Notre Ecole Faisons-La Ensemble à compter de la rentrée prochaine afin de permettre d’ajouter des ressources numériques audio.

Retour réflexif sur la mise en œuvre de l’intelligence collective pour la réorganisation des ressources du CDI

L’intelligence collective est une dynamique de groupe qui peut être mobilisatrice et efficace dans la gestion de questions complexes grâce à plusieurs éléments. C’est une démarche évolutive et progressive, basée sur l’autonomie, la confiance et le partage de pouvoir, pour que les interactions elles-mêmes -au cœur de la dynamique- soient les éléments stimulateurs des participants. Ainsi, l’intelligence collective dépasse la simple idée de « faire ensemble ». L’intelligence collective,  c’est faire le pari que :
– « échanger ensemble » en toute confiance autour d’un objectif commun permettrait au groupe de développer des idées plus créatives et plus complexes ;  
– « décider ensemble » permettrait d’impliquer et de responsabiliser fortement les acteurs dans la réflexion et l’action.
Ces éléments pourraient révéler des potentialités non envisagées au départ pour « oser ensemble » et optimiseraient grandement la phase du « faire ensemble » en renforçant la cohésion du groupe.
Ainsi, animer le CDI en tant qu’environnement propice au développement de l’intelligence collective, ce serait le penser comme lieu facilitateur de toutes les connexions. Au CDI, on peut rompre avec le cloisonnement des disciplines, des niveaux, des classes, des compétences, des usages formels et informels, des activités scolaires et de loisirs. De ce fait, il y est possible de développer la reliance (E. Morin, 2004) entre les individus et entre les pratiques. Et via l’organisation des espaces et des ressources, les diverses formes de médiation et les outils variés mis à disposition par le professeur documentaliste, le CDI peut être un réel environnement capacitant (Falzon, 2005), où les possibilités d’actions des élèves sont démultipliées. Il s’agit dès lors de développer des modalités pédagogiques plus orientées vers l’horizontalité et la résolution collective de problèmes complexes mais dont l’utilité est certaine pour tous les acteurs du projet. Il s’agit peut-être également d’être ouvert à l’imprévu et l’informel, de faire preuve de souplesse et d’agilité pour que les opportunités et idées nouvelles puissent être exprimées par chaque élève et saisies au vol par le groupe, pour une co-construction réelle à chaque étape du projet.
  • Identification de l’objectif et des besoins des usagers

A la différence d’un travail de groupe fondé généralement sur la répartition des tâches, l’intelligence collective demande à chacun de contribuer à tous les aspects du projet, en interactions constantes et de bien en connaître l’objectif. En effet, il ne s’agit pas là de fractionner le travail en petites tâches qui peuvent se réaliser indépendamment par n’importe quel individu, mais d’impliquer un ensemble d’individus pour travailler sous forme d’un collectif ayant un but commun. Il faut à la fois mobiliser en créant un sentiment d’appartenance au projet et œuvrer pour une finalité qui aura été clairement définie et à laquelle le groupe aura adhéré.

Mais tout projet mené à l’aide de l’intelligence collective ne serait possible sans comprendre les besoins des usagers, par exemple, pour les UPE2A, les siens et ceux des pairs (chaque projet se situant sur un espace de ressources partagé dans le cadre scolaire). Ce sont les besoins qui amènent à penser les solutions qui permettent d’arriver à la finalité. Si la finalité est large, par exemple, créer un « espace au CDI » correspondant à des élèves ayant un besoin particulier, les besoins la préciseront par ailleurs : un espace de ressources mais aussi de travail, de détente, etc. La mise en activité des élèves a donc été aisée en raison de la facilité des jeunes à identifier l’objectif qui les concernait et leurs propres besoins.

Concernant le projet des Assistants CDI, les élèves ont réalisé et dépouillé une enquête statistique complète en interrogeant les parents, les enseignants et les élèves pour définir les besoins des élèves pendant les temps hors-cours au collège. Grâce à cela, ils ont identifié 5 objectifs, 5 domaines d’activités prioritaires à développer sur ces temps libres qui ont guidé leurs choix d’espaces à repenser et de ressources à développer au CDI : « Passer du temps à l’extérieur / Développer le bien-être et le calme / S’amuser et discuter avec ses amis / Faire des activités sans écran et des activités manuelles / Prendre soin de notre corps ». 

Le rôle de la professeure documentaliste a principalement été de recentrer les élèves sur ces 5 objectifs pendant les phases suivantes, en leur posant simplement (mais presque systématiquement) la question « est-ce que ce vous proposez répond à l’un des objectifs que vous avez fixés ? ». En effet, avec la liberté d’action et de parole permises en intelligence collective, les élèves perdaient parfois ces objectifs de vue, par conséquent le risque était de ne plus répondre aux besoins exprimés. Cela a confirmé la nécessité de co-construire la finalité et les objectifs du projet avec tous les participants, et qu’ils soient suffisamment clairs et concrets pour chacun.

Dans le cadre du projet avec le dispositif relais, les élèves en décrochage scolaire ont une faible estime d’eux-mêmes. Dans la représentation initiale, il semblerait que ces élèves ne se sentent pas légitimes à œuvrer pour la communauté, et n’aient pas connaissance de la diversité des publics en établissement scolaire. Dans le cadre du projet, il a donc été indispensable de présenter aux élèves les différents types de troubles des apprentissages pouvant conduire au décrochage et pouvant diminuer nettement l’appétence à la lecture. Ce temps de réflexion et d’explication a permis une prise de conscience de la diversité des publics en établissement scolaire. Cela a également été une prise de conscience de leurs propres difficultés personnelles parfois non identifiées, un regard différent sur leur propre problématique et une implication plus grande des élèves dans la mise en place d’une remédiation et d’une modernisation. 

 

  • Développement de l’autonomie et de la prise de décision

Pensé notamment dans le monde des entreprises, l’usage de l’intelligence collective dans des résolutions de problèmes vise in fine la prise de décision et la mise en autonomie des membres du projet quant à l’auto-organisation, autant pour gagner en efficacité sur l’avancée des tâches que pour collectivement « monter en compétences », selon l’expression consacrée. Dans le cadre scolaire, ces deux aspects sont aussi importants comme buts que difficiles à anticiper.  Ainsi, l‘intelligence collective telle que nous l’avons expérimentée n’a pas permis une mise en autonomie totale, mais dans certains projets nous avons pu constaté une évolution positive des élèves dans ce domaine.

Au niveau du club Assistants CDI, il a été constaté une prise de confiance accrue et des initiatives plus affirmées chez chaque élève au fur et à mesure du déroulement du projet. Cela est possible si chaque élève se sent reconnu et en sécurité dans le groupe, et c’est principalement à cela que la professeure documentaliste doit faire attention à chaque séance, en particulier au début du projet (en donnant la parole à tous, en prenant en compte l’avis de chacun, en interdisant jugement et moquerie, en félicitant nommément, en instaurant l’esprit d’équipe…) : l’ambiance de travail qui s’instaure lorsque ces deux conditions sont réunies est alors une réelle dynamique d’intelligence collective.

Par contre, si les élèves étaient autonomes, créatifs et responsables pour l’enquête, pour réorganiser les espaces eux-mêmes et pour réaliser la signalétique et l’affichage, la recherche et la sélection de nouvelles ressources à acquérir se sont avérées trop compliquées et peu motivantes pour eux, car ils n’avaient pas les compétences pour les évaluer. En effet, ils ne pouvaient pas estimer rapidement et sans aide les critères de qualité scientifique, fiabilité de la source, niveau de langue et de difficulté en adéquation avec le niveau de tous les collégiens, durée ni trop longue ni trop courte, etc. La professeur documentaliste a largement guidé cette étape. La recherche des ressources existantes sur E-sidoc à intégrer dans leur espace a pu être faite dans une plus grande autonomie, mais elle n’a pas suscité le même engouement que les autres phases du projet, et a donc été nettement moins aboutie. 

Le projet avec la classe relais a lui été initié avec une phase de brainstorming pendant lequel les élèves confrontaient leurs idées personnelles en lien avec les problématiques auxquelles ils voulaient remédier. L’étayage de l’adulte se concentrait sur un recadrage quant aux objectifs et aux moyens à disposition. Le groupe était grandement impliqué dans la validation des propositions individuelles. Cette étape a permis une réelle appropriation du projet par les élèves.

Ces modalités de travail (réflexion personnelle puis confrontation au groupe) ont été reprises lors du choix de la signalétique et de l’aménagement de l’espace par thèmes. Cette année, il a été observé de très bonnes dynamiques de groupes sur les différentes sessions, ce qui n’est pas toujours le cas.

Dans un deuxième temps, le retrait des ouvrages et la lecture des quatrièmes de couvertures n’a pas été simple car très peu d’élèves étaient lecteurs et cette tâche était pour eux fastidieuse voire complexe.

Cependant, le groupe a fait preuve d’une certaine autonomie et collaboration, appuyé par une élève leader qui a organisé avec ses camarades une répartition des tâches. Tous les élèves ont été un temps actifs à tous les postes mais ensuite, ils se sont orientés vers une organisation plus efficace : certains lisaient les quatrièmes de couvertures, d’autres cherchaient sur le site Babelio le thème principal (à l’aide des mot-clés), d’autres apportaient aux enseignants les ouvrages problématiques (multi-thèmes) et d’autres réorganisaient les livres sur les étagères.

L’autonomie des élèves a été favorisée par un outil de suivi : la constitution d’un porte-vues personnel avec la trace détaillée des réflexions et prises de décision. Les élèves s’y référaient en début de séance pour reprendre le suivi du projet plus rapidement.

Lors de la production des affiches signalétiques, chaque élève a choisi un thème et a effectué son travail en autonomie. Cependant, les choix opérés étaient visibles par le groupe, souvent commentés et améliorés, parfois avec intervention des adultes.

Enfin, l’étiquetage des livres a également été effectué en autonomie (tâche simple). A noter que les élèves ayant une dyslexie importante peinaient à replacer les livres correctement dans les étagères et là encore, le groupe a naturellement adopté une répartition des rôles lui permettant d’être plus efficace.

 

Les jeunes d’UPE2A n’ont quant à eux pas eu de mal à penser la finalité qui les concernait directement, créer un espace pour eux, mais envisager les besoins autres (camarades actuels, promotion future, élèves qui sont d’anciens UEP2A) a nécessité le recours à un exercice cadré créé dans ce but : une fiche de note permettant d’analyser si la ressource imprimée correspondait à un camarade. Analyser le niveau de lecture et l’adéquation de la ressource face à eux a été difficile pour ces élèves qui n’ont jamais été scolarisés avant…  tout comme les élèves du club « Assistants CDI » ont eu du mal à se pencher sur leurs ressources malgré leur habitude de l’école et du CDI. Leur réflexion a donc dû être guidée par l’adulte, qui est resté maître de l’atelier « ressources ». La mise en autonomie du groupe avec l’adulte en retrait, dans le rôle de simple superviseur et facilitateur, n’a pas été possible. Pareillement, mettre les élèves en autonomie lors de l’atelier « repérer ce qu’il y a au CDI » n’aurait pas pu être réalisé en autonomie par les élèves en raison du manque de mots de vocabulaire ; cet atelier a aussi été un moment d’apprentissage formel et guidé par l’adulte.

  • Qualité des interactions et besoin des autres : avancer ensemble dans l’interdépendance

L’intelligence collective mène à une grande interactivité, quasi-constante, entre les membres du groupe. Pour avancer ensemble, il faut affronter les obstacles liés à la communication en général, obstacles qui sont nombreux notamment à l’adolescence, période où l’on développe ses compétences psycho-sociales. En effet, il faut une qualité d’écoute mais aussi des qualités d’argumentation, pour faire ensemble et réfléchir ensemble et non suivre le modèle où une personne (ou un sous-groupe) domine la parole. L’intelligence collective amène à une interdépendance entre les membres, qu’il faut réussir à gérer correctement pour le groupe, pour avancer ensemble. Par ailleurs, si le projet est ambitieux, le choix collectif et la mise en action peuvent devenir des freins en raison du temps que cela prend (particulièrement si on vise une longévité, voire une pérennité). Cela concerne les jeunes et les adultes. Il est en effet très compliqué de maintenir une motivation suffisante sur le long terme.
Ainsi, une des difficultés pour le projet impliquant les UPE2A s’est trouvée dans la gestion des émotions : au moment du vote pour choisir le nom de l’espace, une tension s’est créée. Concevoir et améliorer les propositions de noms par groupe a été simple et les groupes étaient enthousiastes, mais le passage (entre deux noms assez proches) au vote a probablement été vu comme un concours de popularité. Les enseignants ont dû réguler l’aspect démocratique en gérant l’abstention, le débat et la remise au vote pour obtenir une majorité apaisée sous peine de voir le conflit s’enliser et n’aboutir à aucune décision.
Du côté des quatre sessions de classes relais ayant investi le projet, celles-ci présentaient des conditions particulièrement  favorables au travail collaboratif de part la relation positive entre les élèves.
Les phases de réflexion collective ont toujours été riches car accessibles à tous (choix des icônes, des mots clés de recherche…) et ont peu impliqué les adultes. 
Néanmoins, la manutention nécessaire à la réorganisation du CDI avait été sous-estimée et après un enthousiasme initial important, la redondance des séances a pu lasser certains élèves. 
Un élève du groupe a souligné une erreur stratégique quant à l’organisation des tâches ; erreur qui, par l’utilisation du CDI par les autres élèves du collège, a retardé le travail du groupe. Cette difficulté a été soulignée et remédiée grâce à l’avancée de l’étiquetage des ouvrages et la pose de la signalétique.
Durant tout le projet, les élèves ont interagi à chaque séance : binômes de classement / étiquetage, entraide pour la production des affiches, tutorat observé sur le classement alphabétique.
Les élèves n’étaient pas toujours les mêmes d’une session à l’autre ce qui nécessitait une présentation de nos objectifs et actions à chaque retour de vacances. Les élèves les plus anciens prenaient un peu le leadership du groupe durant cette première phase mais les nouveaux étaient rapidement intégrés. Malheureusement ils n’avaient pu assister à l’intégralité du processus réflexif et travailler autant de compétences que les camarades plus anciens.
Enfin, en ce qui concerne les Assistants CDI, la composition du groupe (une dizaine d’élèves volontaires de tous niveaux) a permis de travailler facilement en intelligence collective, car il n’était pas nécessaire de cadrer fortement les discussions collectives qui restaient très efficaces et bienveillantes. Les élèves sont restés motivés par le projet. Cependant, il est important d’organiser des modalités qui permettent aux élèves de visualiser régulièrement les avancées du projet et de varier les activités. Ces deux aspects sont essentiels pour maintenir la motivation du groupe (malgré cela, nous avons eu deux désinscriptions en cours d’année, ces élèves trouvant le projet trop long). L’enthousiasme du groupe semble être essentiel pour travailler en intelligence collective, car la qualité du résultat dépend fortement de la qualité des interactions, qui comprennent notamment des phases d’échanges libres et informels. Si l’implication volontaire dans la tâche diminue voire disparaît, il serait sans doute nécessaire de cadrer plus strictement les activités et les discussions, et donc de renoncer à une partie des principes sous-jacents de cette démarche. 
La thématique de la réorganisation des espaces du CDI (ou de l’établissement) se prête très bien aux modalités de travail de type Design Thinking et intelligence collective. D’une part, elle permet de se questionner sur des éléments très concrets du quotidien des élèves, et d’autre part elle propose au groupe de penser en terme de Bien Commun, avec l’idée régulièrement répétée pendant les séances que « l’on réfléchit et on travaille pour tout le monde ». L’enquête adressée à un nombre important de répondants a permis aux Assistants CDI de prendre en compte les priorités de la grande majorité de la communauté éducative, et de proposer également de nombreuses améliorations pour d’autres espaces et temps que le seul CDI.

Les ressources numériques sonores au CDI : questions ouvertes. 

  • La question du livre audio dans les CDI :

Dans le numéro 179 de la revue Lecture Jeune publié en Septembre 2021 et qui s’intitule Lire sans livres (https://www.lecturejeunesse.org/product/lire-sans-livresn179-septembre-2021/), deux articles nous rappellent que la présence du livre audio dans les bibliothèques et CDI n’est en rien nouvelle. Cette pratique n’est pour autant pas encore largement développée dans le milieu scolaire. Nous pensons que des éléments pourraient s’avérer bloquants pour certains. D’une part, la mise à disposition de ressources audio pose des questions juridiques liées à la propriété intellectuelle et au droit de prêt, voire liées au respect du RPGD lorsqu’il s’agit d’en faire produire par les élèves. Des questions juridiques se posent aussi même si l’on veut contourner ces difficultés avec des voix générées par des IA qui liraient un texte du domaine public plutôt qu’une voix d’élève, par exemple. D’autre part, le matériel nécessaire demande un investissement financier (système d’écoute tel lecteur CD pour les livres audio ou tablette mise à disposition pour écouter au CDI ; matériel d’enregistrement pour créer…) et en temps quant à la formation des personnels (outils, techniques…), sans oublier l’adhésion de la communauté éducative pour des projets visant la pérennité, par exemple pour la constitution d’une bibliothèque sonore au fil des ans, car cela nécessite un important investissement pédagogique.
Pour autant, une professeure de l’université de Pennsylvanie a étudié le niveau de compréhension entre les lecteurs de livres papier et les auditeurs de livres audio : elle a révélé que la compréhension était la même que l’on écoute un livre audio ou qu’on lise au format papier. Par ailleurs, les scientifiques spécialisés en neurologie ont démontré que les mots, lus ou entendus, stimulent les mêmes parties cognitives du cerveau
Le passage par la lecture audio permet d’enrichir ce que l’on nomme « l’expérience de lecteur. » Le droit de ne pas lire est le premier que Daniel Pennac reconnaît au lecteur. L’expérience littéraire n’est pas qu’une expérience de papier, il s’agit également d’une expérience émotionnelle, d’une expérience de pensée, et d’une expérience de partage social. En prenant en charge le déchiffrement et la compréhension, elle libère l’esprit de l’auditeur pour la construction du sens. Pour les non lecteurs, se dégager de la difficile tâche, de déchiffrer le texte pour accéder directement à la visualisation mentale de l’histoire, à la compréhension et l’enrichissement du vocabulaire permet d’accéder au plaisir de la découverte de la littérature. 
Clémentine Beauvais, dans le discours pour lancement de la 12ème édition des Petits Champions de la lecture, parle d’ailleurs d’alphabétisation orale ou de littératie de l’oreille (oracy en anglais) qui permet de faire sens de ce que l‘on écoute, et de vivre pleinement ce partage car « lire à voix haute c’est ajouter un toi entre le texte et moi » (https://youtu.be/1KwtZFcW8P8?si=U1HR-kYIDKTonhJy). 
  • Créer des ressources audio avec les élèves 

Nous nous sommes également posé la question de sa pertinence et de la place à lui accorder au sein de nos projets pédagogiques. Créer des livres audio ou des podcasts permet de développer les compétences numériques des élèves ou encore en littératie, mais également des compétences liées à l’oral et des connaissances en arts et culture générale. C’est en effet un vecteur de motivation, notamment pour des jeunes parfois éloignés ou carrément en rupture avec la lecture de textes imprimés, voire un pont vers cette lecture fortement mise en avant dans la scolarité. La pratique de l’oral est essentielle au cours de la scolarité : travail de l’éloquence au collège, épreuves orales aux examens, compétences numériques quant à la création et la diffusion de ressources dans le cadre du CRCN (domaine 3 : création de contenus). En outre, passer par l’oral peut permettre une revalorisation de la culture et un travail autour de l’écrit : lecture d’extraits de textes ou création de podcasts nécessitent systématiquement un retour à l’écrit tout en stimulant l’intérêt de nos élèves pour la publication et la mise en scène. 
  • Les autres types de ressources audio

Lors de nos projets respectifs, nous avons également chacune été amenées à réfléchir à la place de l’audio dans nos pratiques professionnelles : tant pour la création de contenus que pour la publication, l’hébergement et la mise à disposition du contenu en ligne, sur E-sidoc par exemple. La question s’est élargie aux autres types de ressources audio à mettre à disposition au CDI, en particulier les podcasts, mais également l’accès aux médias radiophoniques, les ressources créées par nos élèves de type émissions de webradio scolaires, ou des ressources visant le bien-être des élèves tels que les bruits blancs, l’ASMR, les musiques ou les relaxations guidées.
Les usages des ressources sonores en dehors de l’école se développent de plus en plus dans toute la société, via le smartphone. Pour autant, l’attrait vers les quelques ressources audio dans nos CDI n’est pas inné pour la plupart de nos élèves, passée la séduction de la nouveauté. Tout comme pour les autres ressources du CDI, il est indispensable de penser leur visibilité et de faciliter leur accès, ainsi que d’inventer régulièrement de nouvelles formes de médiation pour inciter les élèves à les consulter et se les approprier. 
 
 Seule une décision collégiale permettra, après une enquête auprès des élèves notamment, de situer la place de la ressource sonore au sein des apprentissages et des ressources mises à disposition dans le cadre de la politique documentaire de l’établissement, car la question dépasse le professeur documentaliste pour englober la communauté pédagogique dans son ensemble. Les professeurs documentalistes, spécialistes de l’information et de la communication peuvent néanmoins être des acteurs clés de cette évolution, notamment dans le cadre de la mise en place des heures d’EMI au collège, toujours en lien avec les collègues enseignants disciplinaires. 
Nous gardons ainsi de nos projets ces questionnements professionnels que nous tenterons d’explorer dans nos pratiques futures, pour faire de l’école en général un monde plus poreux entre les pratiques personnelles des jeunes et les pratiques demandées par l’institution, et pour favoriser l’ouverture culturelle des élèves : 
Comment favoriser l’usage et la création de ressources audio au sein des enseignements avec les collègues de son établissement scolaire ? Comment intégrer efficacement les ressources audio au sein du CDI (législation, sélection, mise à disposition, médiation et valorisation…) ?
Et plus largement, comment travailler en intelligence collective au sein de la communauté éducative pour élaborer ensemble l’intégralité de la politique documentaire de l’établissement scolaire ?
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