La lecture au-delà des murs du CDI à l’ère du numérique
Cet article collaboratif a été rédigé dans le cadre des TraAM documentation 2024-2025 par :
- Delphine Abraham, professeur documentaliste, Lycée professionnel Le Corbusier, Tourcoing, Académie de Lille
- Cassandra Buigues, professeur documentaliste, Collège International de Valbonne, Académie de Nice
- Géraldine Rouard, professeur documentaliste, Collège Sidney Bechet, Antibes, Académie de Nice
- Sonia Duflos, enseignante spécialisée en classe relais, Collège Sidney Bechet, Antibes, Académie de Nice
La lecture a été érigée en grande cause nationale comme l’indique la note de service du 16 novembre 2021 : « La lecture constitue en effet un vecteur de transmission du savoir, de culture, d’égalité des chances et, au-delà, d’épanouissement personnel pour les élèves. »
Le professeur documentaliste, de par sa fonction au sein de l’établissement scolaire, s’inscrit en médiateur vers toutes les ressources culturelles. Il se questionne sur les méthodes à mettre en œuvre pour inciter à la lecture, notamment lorsqu’il s’agit d’améliorer la fluence ou d’y lier le développement les compétences numériques des élèves. En tant que gestionnaire de ressources, il a pour vocation de s’adapter aux différents publics de l’établissement en diversifiant les supports et les modalités d’accès. Le professeur documentaliste sélectionne des ressources pertinentes et variées pour répondre aux besoins et aux centres d’intérêt des élèves. Par ailleurs, il doit permettre aux élèves lecteurs de sortir de leurs habitudes de lecture en leur offrant d’autres pistes. Il est souvent dans l’obligation de désacraliser la lecture face à des élèves non lecteurs, que les livres, comme le CDI en tant qu’espace culturel, effraient, voire dégoûtent. Dans un monde où le numérique ne cesse de bouleverser les pratiques culturelles, le professeur documentaliste se doit donc de s’adapter aux nouvelles pratiques pour encourager la lecture chez les jeunes. En tant qu’enseignant, il doit également faire évoluer sa pratique afin de permettre le développement de compétences psychosociales, telles que le travail collectif, la créativité, la communication et les capacités relationnelles.
Nous soulèverons dans cet article les questionnements suivants : Comment suivre les tendances du numérique auxquelles adhèrent les jeunes pour les inciter à la lecture ? Quel impact cette évolution a-t-elle sur notre pratique professionnelle ? Comment faire de la lecture une pratique nomade au sein de l’établissement scolaire ? Il s’agit d’une prescription qui nous semble émaner de nos élèves.
Nous allons développer la nécessité du renouvellement des pratiques professionnelles en lien avec l’évolution culturelle vers des supports audios et des contenus courts. Le format particulièrement accessible de ces ressources constitue une passerelle vers la culture et la lecture pour tous les élèves. Les audios et lectures numériques courtes témoignent d’une évolution vers des pratiques nomades.
Dans ce contexte, le défi à relever est de s’approprier ces pratiques nomades des jeunes pour un usage pédagogique : favoriser la mise à disposition de formats hybrides, assurer la visibilité des nouveaux espaces de lecture, faire la promotion de ressources peu consultées et accompagner les élèves dans la création de produits culturels. Nous constatons que les lectures, même en ligne, nécessitent un objet physique de médiation. Les projets de nos élèves visent à rendre visible l’invisible, à rematérialiser des contenus dématérialisés.
L’article présente de façon filée plusieurs projets réalisés dans le cadre des TraAM Documentation 2023-2025 dont l’intitulé est : « l’intelligence collective au service des compétences du XXIème siècle ».
Dans un premier temps, nous aborderons l’évolution des pratiques de lecture que nous avons pu observer dans nos établissements respectifs, puis nous partagerons nos idées pour suivre les tendances numériques en établissement scolaire que ce soit au sein de l’espace CDI ou hors les murs.
Enfin, la médiation de ces lectures nomades est le fruit de l’intelligence collective au sein de l’établissement et par extension, en réseau d’établissements scolaires pour renforcer leurs liens. Nous explorerons ces pistes, tout en mettant en avant les limites et contraintes des projets évoqués.
1/ L’évolution des pratiques observées du collège au lycée
Les pratiques numériques des jeunes influencent leur accès à la culture. Les recommandations de lecture par les pairs et les influenceurs se font sur les réseaux sociaux tandis que l’oralité prend une place importante dans la transmission des connaissances et de l’actualité par rapport à l’écrit.

https://centrenationaldulivre.fr/donnees-cles/les-jeunes-francais-et-la-lecture-en-2024. Consulté le 01 mai 2025.

https://passculture.docsend.com/view/s9f9snkxjew7gnck. Consulté le 01 mai 2025.
Le bilan du Pass culture (part individuelle) de juin 2024 souligne que la lecture en ligne et la lecture nomade ne cessent d’augmenter chez les adolescents et les jeunes adultes. La CNIL, toujours dans son enquête sur les jeunes et la lecture, fait un focus sur la lecture de livres numériques et l’écoute de livres audios. Les chiffres indiquent clairement une augmentation nette de ces pratiques de lecture. Ainsi 44 % des jeunes déclarent lire des livres numériques soit 11 points de plus qu’en 2022. Cette enquête précise notamment que cette lecture s’effectue majoritairement sur smartphone. Le livre audio et le podcast, de leur côté, continuent à gagner du terrain et six jeunes sur dix en ont déjà écouté.
En parallèle, l’accès à la fiction numérique est une pratique largement utilisée par nos élèves avec notamment la lecture de bandes dessinées asiatiques en ligne, quitte à accéder illégalement aux contenus.
On observe également une tendance des éditeurs à proposer des versions audios partielles ou intégrales des textes de fiction qu’ils impriment, voire même à proposer l’ajout de vidéos, afin d’enrichir la lecture et d’inclure l’écoute dans les pratiques de lecture scolaire. La place de l’oral sur le marché éditorial est en nette augmentation ces dernières années. De nombreuses plateformes proposent également la diffusion d’enregistrements audios des livres de fiction, gratuitement ou en version payante. Il est désormais fréquent que les élèves nous disent qu’ils écouteront un livre de lecture cursive plutôt que de le lire.
Les programmes scolaires mettent l’accent sur l’oral. De nombreux dispositifs encouragent l’oralisation de la lecture à l’image du concours de lecture « Et si on lisait à voix haute ?« . L’enseignement de l’éloquence au collège permet de croiser deux domaines de formation : l’éducation artistique et culturelle en lien avec la parole et l’apprentissage de l’expression orale. Ces apprentissages préparent les élèves à l’oral du brevet ou du certificat de formation générale pour les collégiens. Le Grand oral est également une épreuve issue de la réforme du baccalauréat instaurée en juin 2021. En lycée professionnel, où la pédagogie de projet est prégnante, une grand part des évaluations s’effectue à l’oral.
Malgré tout, l’écart entre pratiques de lecture numérique et de lecture sur supports imprimés persiste : le Pass culture dans sa part individuelle est majoritairement dépensé en livres même si les jeunes passent beaucoup de temps sur les écrans où ils lisent des formats numériques (Wattpad, mangas et webtoons (44 % en 2024 dans l’enquête Pass culture).
Parmi les possibilités actuelles de renouveau d’accès à la lecture pour le professeur documentaliste, il y a les abonnements numériques tels que l’accès aux mangas et webtoons (bandes dessinées japonaises et coréennes) sur le portail Esidoc mangas.io via Canopé. Ces abonnements visent à imiter les pratiques de lecture sur smartphone des jeunes.
Que l’on soit prescripteur ou non de cette plateforme, elle permet de proposer une offre culturelle en mettant à disposition des mangas sur une plateforme légale et disponible à la maison. La pratique ne semble cependant pas tout à fait être adoptée par les élèves de nos établissements à l’heure actuelle. Nous formulons les hypothèses suivantes : la sélection proposée est-elle trop patrimoniale ou a-t-elle déjà été lue par les jeunes ? La connexion via les outils institutionnels constitue-t-elle un frein (l’accès n’est pas directement sur le téléphone) ? Ou les élèves ne parviennent-ils tout simplement pas à changer leurs habitudes de lecture ?
Nous observons, par ailleurs, au sein des CDI, que les jeunes ont un rapport à la lecture qui peut être influencé par le mobilier. Ainsi, la présence de chauffeuses invitant à la détente rappelle les pratiques de lecture collective qui existent depuis l’enfance.
« Cette lecture partagée pendant l’enfance est évoquée avec bonheur par ceux qui en ont bénéficié, puisque la quasi-totalité d’entre eux en garde un souvenir positif et que 61% adoraient même ce moment. »
CNIL ; IPSOS. Etude 2024 les jeunes français et la lecture. Disponible en ligne :
https://centrenationaldulivre.fr/donnees-cles/les-jeunes-francais-et-la-lecture-en-2024. Consulté le 01 mai 2025.
Les jeunes lisent en groupe, soit la même bande dessinée ou le même livre, soit des livres différents mais en ayant une proximité physique. Nos observations sont issues de trois CDI en lycée professionnel, en lycée général et technologique et en collège. L’échange est au cœur de la lecture : recommandations, lectures partagées… Qu’elle soit l’objet d’un projet pédagogique (Défi Babelio…) ou d’un échange interpersonnel, la lecture est avant tout une pratique sociale. Le quart d’heure de lecture peut également être l’occasion d’instaurer des temps de partage autour de la lecture à voix haute au sein des établissements scolaires.
Nous avons mis en place nos projets en prenant en considération ces éléments en lien avec les différents programmes scolaires ainsi que les compétences numériques attendues de nos élèves en fin de cycle. Nos projets ont porté sur la mise en espace de la lecture dans l’établissement scolaire pour ne pas la cantonner au CDI et pour l’amener à des publics qui ne sont pas usagers du centre de documentation et d’information. Ces réflexions nous ont amenées à solliciter l’intelligence collective pour placer nos élèves au cœur de ces projets, et les inviter à devenir prescripteurs de lecture. Il s’agissait soit d’actions impliquant des élèves volontaires soit de projets de classe. Ces aventures pédagogiques seront détaillées dans la prochaine partie.
2/ Des idées pour suivre les tendances numériques en établissement scolaire
Nos projets, portés par le collectif élève, sont axés sur le réaménagement des espaces du CDI ou le déploiement des ressources à l’échelle de l’établissement. Un des objectifs est de faire cohabiter les ressources imprimées et les ressources augmentées numériques (dont audio), en tirant parti des tendances du nomadisme de la lecture.
A- Un CDI hors les murs : la mobilité de la lecture dans l’établissement scolaire
Penser un CDI hors les murs nous a amenées à nous interroger sur la pertinence des tiny libraries, bibliothèques miniatures. Le concept de tiny library renvoie à une simple miniaturisation du livre pour en faire sa promotion par le truchement d’un faux objet livre miniature sur lequel on insère la couverture adaptée. Cela permet de faire la promotion de la lecture, de proposer des recommandations de lecture, de faire un renvoi vers des questionnaires de sélections de livres créés par les bibliothécaires pour leurs usagers, etc. La tiny library renvoie également à un ensemble de ressources numériques, tels les e-books et les audiobooks, matérialisés par des petits « livres », une affiche ou des fiches, qui permettent de scanner les QR codes renvoyant à la ressource concernée. Les tiny libraries s’accompagnent d’une signalétique pour les rendre visibles.
Ainsi, en lycée professionnel, sur le temps de la co-intervention, l’idée de créer une tiny library a été engagée en partenariat entre la professeure documentaliste et ses deux collègues de français et d’arts appliqués. Le thème choisi, à l’unanimité sur deux groupes, a été celui de la découverte des pays. L’idée de partager des endroits rêvés ou des endroits qui leurs sont chers a motivé les élèves.
Ainsi, la classe de première année de CAP Signalétique et Décors Graphiques (SDG) a choisi collectivement de travailler sur une première tiny library ayant pour thème « contes/légendes/fables/comptines du monde entier ». Le projet s’inscrit aisément dans le programme de français (apprentissage de la communication orale, lire pour autrui, lire à voix haute) et donne la possibilité aux professeurs d’arts appliqués de travailler un nouveau support de communication. Quant au professeur documentaliste, ce projet lui permet de répondre à ses missions : multiplier les offres de lecture et donner une nouvelle opportunité aux non-usagers du CDI ou aux élèves éloignés de la lecture de s’ouvrir au monde. Il est aussi l’occasion de sensibiliser les élèves aux questions de droits d’auteur et au respect des données personnelles.
On note également que la valorisation du projet à l’échelle de l’établissement n’a pas empêché l’adhésion des élèves malgré quelques craintes formulées quant à la diffusion des productions orales.
Les élèves ont tout d’abord pris en main les outils qui seront utilisés pour l’enregistrement sonore. Puis, ils se sont essayés à l’enregistrement d’une lecture d’un conte tenant sur une page tapuscrite distribuée en amont. Une partie des élèves s’est montrée relativement à l’aise avec l’exercice. Leurs pratiques numériques autour du jeu et de la vidéo expliquent certainement cette aisance face à l’enregistrement vocal.
Lorsqu’un élève, plus en fragilité avec l’écrit, refuse de se prêter à l’exercice, ce sont les enseignants qui prennent en charge la médiation en expliquant que c’est là justement le cœur du projet : offrir de la lecture audio pour tous ceux que la lecture de textes rebute ou effraie quelle qu’en soit la raison. Les enseignants lui proposent de chercher un texte court, facile à apprendre, une histoire avec laquelle il a une certaine proximité. Cette personnalisation du contenu à lire fonctionne.
La séance suivante a été consacrée à choisir et, pour certains élèves, à rédiger leur conte soit en le sélectionnant dans le domaine public, soit en l’écrivant avec l’assistance de l’Intelligence Artificielle Générative (IAG).
Enfin, l’heure d’élaborer la tiny library, le support de la bibliothèque numérique arrive. Il s’agit de choisir collectivement un matériau, un gabarit, une présentation, une mise en page en mettant en œuvre l’intelligence collective, tout en mobilisant les compétences spécifiques du CAP SDG pour lequel ils se préparent.
Par ailleurs, la création de contenus audios peut se limiter à l’espace du CDI dans un premier temps avant de se déplacer pour atteindre les non-usagers. Ainsi, les élèves bénévoles d’un club lecture du Collège International de Valbonne ont travaillé, en 2024-2025, des extraits audio de l’œuvre du Royaume de Kensuké de Michael Morpurgo, en français et en anglais (section internationale) dans le cadre d’une exposition créée par les élèves. Un PLV (publicité sur lieu de vente) en carton de grande taille récupéré gratuitement dans une salle de cinéma sur le film d’animation éponyme sert de cœur à l’exposition, et est complété par des affiches d’élèves (en A3 couleur) : fiches personnages, avis des lecteurs, résumé de l’intrigue. Une affiche présentera également les QR codes des extraits lus. Dans un second temps seulement, l’exposition sera installée dans l’établissement, comme si elle était en prêt dans d’autres lieux scolaires.
Dans le cadre de la continuité du projet Lecture pour tous, initié à la rentrée 2023, les élèves de la classe relais du collège Sidney Bechet à Antibes ont enregistré des lectures expressives d’extraits de romans choisis dans le CDI. Cette poursuite a eu pour objectif inclusif d’inciter tous les publics de l’établissement scolaire à la lecture et a fait l’objet d’une nouvelle publication sur le site académique, Lecture pour tous : prolongements . La présentation du travail effectuée dans le CDI l’année dernière a permis à nos élèves de s’approprier le projet en constatant la pérennité des actions menées par le dispositif relais. Cette année, notre objectif était de nous adapter encore davantage aux publics non lecteurs en adéquation avec les pratiques mobiles des collégiens. L’enjeu était d’autant plus ambitieux que les élèves de classe relais sont eux-mêmes rarement lecteurs et potentiellement en difficulté avec l’oralisation. Cependant, nous avons obtenu l’adhésion du groupe justement grâce à une position valorisante : être des élèves qui osent partager et aider d’autres élèves en difficulté.
Après avoir choisi un ouvrage de fiction au CDI, chaque élève a dû sélectionner un extrait approprié pour une lecture courte et intrigante. En classe, des séances spécifiques de français ont porté sur la lecture : ponctuation, intonation, rythme, émotions véhiculées par le texte. Les compétences travaillées lors de ces séances ont été transférées aux textes sélectionnés avec l’étayage d’un comédien. Les élèves l’ont rencontré à plusieurs reprises en groupe ou individuellement afin d’améliorer au fil des semaines leur lecture expressive et de prendre confiance. En fin de session, les élèves ont été enregistrés. L’intégralité du groupe a accepté de prêter sa voix pour le projet ce qui n’était pas acquis initialement et constitue une belle réussite pour certains élèves.
En parallèle de ces entraînements à la lecture, les élèves ont découvert les tiny libraries mais ont opté pour la réalisation d’affiches personnalisées présentant leurs livres et des QR codes renvoyant d’une part au site du CDI pour la réservation de l’ouvrage, d’autre part, à leurs enregistrements audios. La multiplicité des lieux d’affichage des productions ouvrira davantage le CDI aux collégiens de Sidney Bechet. Cet objectif est d’autant plus réalisable que les élèves de l’établissement sont tous dotés de tablettes numériques.
Si le professeur documentaliste est invité par extension à penser le CDI comme CDI hors les murs, c’est pour inclure les élèves qui ne sont pas usagers du lieu. En tirant le fil, les élèves eux-mêmes sont mobilisés pour influencer et recommander des lectures, même sonores, à leurs pairs. Ainsi, la lecture devient nomade, accessible partout dans l’établissement scolaire et à tout moment grâce aux outils numériques. Mais le CDI reste toutefois le lieu central d’accès à la lecture.
B- Un CDI repensé par les élèves et pour les élèves
Le professeur documentaliste se doit donc d’appliquer au CDI des pratiques inclusives afin d’amener la lecture auprès de tous les publics. Pour ce faire, l’intégration de ressources variées, dont audios, va de pair avec l’aménagement spatial. Ainsi, deux des projets menés portent sur l’aménagement thématique du fonds de fiction et la création d’un fonds dédié à un public à besoins éducatifs particuliers. Ces deux projets résumés plus bas ont fait l’objet d’un article réflexif portant sur l’intelligence collective au service du réaménagement des espaces documentaires dans l’académie de Nice en juin 2024.
Pour le premier projet présenté ici, et mentionné plus haut, le collège Sidney Bechet à Antibes a vu l’organisation de son fonds fiction repensé par les élèves de la classe relais en 2023-2024. Le projet a fait l’objet d’une publication sur le site académique.
La participation des élèves a permis d’utiliser l’intelligence collective pour adapter le classement des ouvrages de fiction aux élèves porteurs de handicaps ou ayant des besoins d’apprentissage divers, tels que la dyslexie, le trouble de l’attention, ou encore des difficultés liées à l’apprentissage du français comme langue seconde. Les élèves de classe relais, faibles lecteurs dans l’imaginaire collectif, ont été associés aux choix concernant la réorganisation du CDI. L’objectif était d’attirer tous les publics à la lecture dans une perspective inclusive.
Les élèves ont établi un diagnostic du classement existant et des obstacles que ce classement pouvaient constituer pour l’accès à la lecture. Puis ils ont tous ensemble réfléchi aux besoins à prendre en compte pour favoriser l’inclusion des élèves à besoins éducatifs particuliers : de la couleur, des thèmes clairement identifiables, des éditions récentes, un mélange des romans et des bandes dessinées, des formats plus courts, un espace de lecture plus convivial. Ils ont ensuite participé à la réalisation d’une nouvelle signalétique incluant des images libres de droits. Le choix a également été fait avec les élèves de réemployer un bac à BD pour proposer et mettre en avant des lectures courtes, des livres adaptés utilisant des écritures spécialement étudiées pour les élèves en difficulté de lecture ou avec audio par exemple. Les élèves ont été associés, cette année encore, au choix de certaines ressources et à une nouvelle commande présentée sur le site du collège.
Pour le second projet datant de 2023-2024, il était plus spécifique à un seul public à besoin particulier et a été mené dans un collège proche. Les élèves d’une classe de 3ème UPE2A primo arrivants (Mineurs Non Accompagnés et Non Scolarisés Antérieurement) du Collège International de Valbonne ont sélectionné puis classé par niveau de difficulté de lecture des ressources en français.
Ils ont choisi le lieu au sein du CDI et ont ajouté des outils comme des ardoises pour travailler en autonomie. Ils ont par ailleurs suivi un cycle de lectures sur le conte avant d’en écrire un eux-mêmes avec l’intelligence collective, conte qu’ils ont enregistré pour les UPE2A de la promotion suivante. Cette année, les nouveaux élèves d’UPE2A ont participé à classer les nouveautés et sont également en train d’écrire leur propre conte, qu’ils enregistreront à leur tour. Le CDI ayant reçu de nouveaux meubles et ayant fait l’objet d’un réaménagement, la prochaine classe aura de nouveaux enjeux de réflexion autour de la spatialisation de leur fonds dédié. Les contes créés par les pairs formeront une tiny library audio de plus en plus conséquente et ouverte à toute la communauté bien que destinée au public allophone. Cette tiny library pourrait peut-être devenir à terme un enjeu de littérature nomade. La question se pose donc de la longévité des projets et de la mise à disposition de ressources numériques pérennes.
3/ Nos interrogations liées à la rematérialisation de la lecture
Chaque projet présenté a attiré notre attention sur un certain nombre de points de vigilance quant à leur ampleur ou à leur mise en œuvre.
Le plus évident est celui de la temporalité : tout projet de réaménagement du CDI ou de création de contenus nécessite un suivi régulier sur le long terme. Or, les dates des examens et des PFMP (périodes de formation en milieu professionnel) en lycée professionnel ou encore les aléas du calendrier rendent un projet de grande ampleur complexe si on veut en maintenir la cohérence.
En outre, enregistrer les élèves demande en amont un travail de réflexion sur les autorisations de captation de la voix et le choix des outils : le coût du matériel d’enregistrement éventuel, le stockage sécurisé des données pour pouvoir créer les QR codes.
Le modèle d’autorisation de captation proposé sur le site Eduscol mentionne une durée de publication d’une année scolaire. Dans le cas d’une utilisation plus longue, le chef d’établissement doit pouvoir justifier d’un intérêt pédagogique spécifique et il faut mentionner la durée du projet. La question de la légalité se pose pour nos projets de création de banques de ressources numériques.
En cas de volonté d’utilisation de l’IAG pour sonoriser la lecture ou créer de fausses voix, les questions liées au RGPD bloquent le processus créatif et les outils actuels ne sont pas cohérents avec le besoin d’éthique dans l’éducation (droit d’auteur non respecté dans les corpus d’entraînement des IAG).
En cas de création d’un compte pour un outil en ligne, l’enseignant doit utiliser un compte classe auquel les élèves se connectent uniquement depuis l’établissement scolaire pour restreindre la collecte des données personnelles. Les outils d’IAG sont en outre payants, ils ne sont ni pérennes ni libres de droit. Il est donc difficile de trouver un outil IAG de lecture qui respecte le RGPD et soit par ailleurs adapté au projet, par exemple, qui permette un paramétrage fin des intentions de lecture du texte désirées par les élèves qui gèrent l’outil.
Ces questions se complexifient dans le cas d’un projet inter-établissements. Les projets inter-établissements sont intéressants car ils constituent des leviers de coopération et de mobilisation de l’intelligence collective, cependant les autorisations sont plus délicates à élaborer. Ces contraintes limitent les projets en termes de nombre de partenaires et de durée de conservation des données personnelles des élèves.
Conclusion
La clé de voûte des projets présentés est l’action, pour les élèves, de se mettre au service de leurs pairs. L’élève, citoyen, a en effet mis ses compétences au service de la communauté à des fins de promotion de la lecture, et ce qu’il s’agisse d’un collégien qui était dans un processus de rejet de l’école (classe relais), d’un lycéen suivant des études courtes car il se professionnalise, d’un collégien mineur isolé et allophone ou encore d’un élève ayant une formation générale.
Les projets variés cités ici témoignent que la question de la lecture pour tous et par tous, à l’heure des mutations des pratiques culturelles, est au cœur des préoccupations du professeur documentaliste, quel que soit le territoire et le niveau d’enseignement. Prompt à employer de nouveaux outils numériques dans le cadre scolaire, le professeur documentaliste le fait dans le cadre légal (RGPD notamment) et doit composer avec les contraintes techniques et créatives.
Les élèves ont fait preuve d’une inventivité et d’une implication qui ont permis aux actions d’atteindre leurs objectifs. C’est certainement l’attrait de l’oral qui a joué un rôle primordial dans ce retour vers la lecture dans le cadre scolaire. Par ailleurs, les élèves ont développé des compétences numériques dans un cadre culturel. Ces compétences correspondent notamment aux attendus des référentiels et sont certifiables dans PIX.
Tous les ingrédients sont réunis dans ces projets pour offrir la possibilité d’une ouverture inter-établissements afin de partager les lectures et constituer des bibliothèques sonores de façon collaborative.