TraAM EMI : Jeu numérique et pédagogie créative

Cet article a été co-rédigé dans le cadre des TraAM EMI 2021 2022 entre les Académies de Lille et Nice. 

 

De l’intérêt du jeu dans la démarche pédagogique.

Activité humaine universelle, facteur de développement de l’individu et de son apprentissage, le jeu se pare d’une valeur éducative reconnue pour la petite enfance. Pour les plus âgés, il redevient un moyen éducatif et pédagogique sous différentes formes. Le recours au jeu dans la démarche pédagogique répond à la nécessité de s’adapter à un public de plus en plus hétérogène lié aux évolutions sociétales et à rendre plus attractif les apprentissages.  Dans la sphère privée, les jeux vidéos prennent une place grandissante. Le milieu scolaire s’insère alors au croisement entre les intentions pédagogiques et les habitudes de jeu, plus spécifiquement de jeu numérique. Ces situations de jeu dans l’éducation impulsent le développement de compétences, consolident des connaissances et favorisent l’apprentissage.

Margarida Romero, directrice du Laboratoire d’innovation et numérique pour l’éducation  (LINE) et professeure des universités à l’Université Côte d’Azur en France et professeure associée à l’Université Laval au Canada, dans l’ouvrage Usages créatifs du numérique pour l’apprentissage du XXIe siècle (PU Québec, 2018), présente les quatre types d’usage parmi les jeux numériques pour l’apprentissage :
1.  L’usage pédagogique des jeux numériques qui n’ont pas été spécifiquement conçus pour l’apprentissage ou usage pédagogique de jeux sans intentions éducatives.
2. L’usage pédagogique de jeux sérieux éducatifs conçus dans un but « sérieux » éducatif.
3. La ludification (gamification) en contexte éducatif qui fait appel à des mécaniques de jeux dans des contextes non éducatifs.
4. La création de jeux numériques comme méthode d’apprentissage ; dans ce cas, l’intérêt réside dans la démarches de conception interdisciplinaire de conception d’un jeu comme un processus de modélisation de connaissances.

Le jeu permet aux élèves d’investir un terrain dont ils maîtrisent les codes et la culture. Ils arrivent à se questionner sur les enjeux et à développer leur créativité en prenant en compte leurs propres expériences. Cependant, dans un contexte éducatif, souvent ils se contentent d’expérimenter le jeu sous la forme de jeu de piste, ou QCM afin de vérifier l’acquisition de la compétence travaillée plutôt que de se dépasser. Cela interroge la notion de forme scolaire, le rôle de l’enseignant dans la conception du jeu et de sa propre compétence à faire concevoir ce type de production.

 

Comment la créativité des élèves est mobilisée dans cette démarche de projet ?

Après quelques séquences abordant les notions clés en Éducation aux Médias et à l’Information, les élèves ont du concevoir des scénarios (script vidéo, podcasts) en vue de réaliser un jeu de piste. Ils ont été libres dans le choix des outils à utiliser, qu’il s’agisse d’outils nomades ou sur ordinateur. La question de l’écriture journalistique a montré aux élèves qu’il était nécessaire, même s’ils étaient dans une démarche de créativité numérique, de mettre en place des questionnements quintiliens et des investigations de terrain pour apporter des informations justes et sourcées. Il a également été noté que cette pensée créative devait être mise au service d’un comportement éthique et responsable, permettant de former le citoyen numérique de demain. Pour cela, l’enseignant a dû sans cesse faire valoir le développement de l’esprit critique et analytique des élèves, même si les jeunes étaient dans une démarche de conception d’un jeu. ( Projet Académie de Nice )

Dans la démarche de projet, sont mises en jeu le développement de connaissances et compétences disciplinaires inscrites dans un programme défini dans un cadre temporel à court terme (cycle 4) mais également de compétences transdisciplinaires projetées dans le long terme (visée citoyenne, compétences EMI, compétences numériques). La création du jeu numérique sur le réchauffement climatique et les océans correspond au quatrième type d’usage cité précédemment. La créativité des élèves est mobilisée dans la recherche de solutions adaptées à une situation-problème initiale (la création du jeu sous la forme désirée par eux avec une liberté dans l’apport du contenu) et dans la collaboration qu’ils ont à mettre en œuvre. Cette démarche prépare ces 3e à l’incertitude qui les attend au lycée, face à laquelle ils auront besoin de s’adapter, accompagnée de l’autonomie et la prise d’initiative, mais aussi à celle plus lointaine de leur insertion dans le monde professionnel et social. ( Projet Académie de Lille )

 

Qu’est-ce que la créativité numérique et sa plus-value ?

Margarida Romero propose différents types d’usages du numérique selon le niveau d’engagement, le dernier étant la « Co-création participative des connaissances », celui mis en œuvre dans la création du jeu. Dans cet objectif, la créativité numérique facilite cette élaboration de nouvelles connaissances par les habiletés technicistes plébiscitées par les élèves auxquelles s’adjoignent d’autres compétences comme la collaboration et l’entraide. En résumé, le recours au numérique et à toutes les possibilités qu’il offre encourage l’action de l’élève sans que ce dernier ne soit conscient d’être dans la construction de savoirs.
Dans la mise en place de nos projets, la démarche analysée est celle qui a conduit à maîtriser les compétences du CRCN dans la création de contenu, tout en développant la créativité des élèves. Ce n’est pas tant le résultat qui doit être mis en exergue, mais le processus,  c’est à dire la démarche d’investigation, les questionnements, l’interrogation des outils à utiliser, la coopération entre pairs, la confrontation, l’erreur, la résolution de problèmes, la remédiation, les apports extérieurs. Tout cela questionne et amène à créer de nouvelles compétences au service d’une publication éthique et responsable.

 

Présentation de nos expérimentations avec analyse sur cette créativité numérique

Projet académie de Lille :

Sur le niveau 3ème, une équipe pluridisciplinaire a mis en œuvre un projet couvrant l’année scolaire ayant pour thématique le réchauffement climatique. Plusieurs projets s’imbriquaient dans lesquels tous les élèves n’ont pas participé à l’ensemble des actions : participation à l’opération Plastique à la loupe, à Génération mer en partenariat avec TARA-Océan (échanges avec des scientifiques, analyse des micro-plastiques collectés sur la plage de Calais et visite de Nausicaa, plus grand aquarium d’Europe (en amont d’une  e-classe sur le calcul de son empreinte climatique). Ce vaste projet était également pensé comme un sujet du Parcours citoyen que les élèves pourraient choisir pour l’épreuve orale du DNB. Aussi, notre objectif majeur était de les placer dans une démarche de projet au sein du cadre établi par l’équipe. Imaginer la création d’un jeu pour restituer ce qu’ils auraient appris pendant l’année afin de le communiquer aux autres élèves de l’établissement était apparu comme le meilleur moyen de les rendre actifs (concrétisation participative des connaissances). A travers un exercice de réflexion collective, l’idée partagée par la majorité des élèves consistait en un test de connaissances par l’intermédiaire de questionnaires ou quizz. Ainsi découlait la mission des élèves lors de la visite du centre de la mer : prendre des notes et des photographies de panneaux explicatifs en vue de constituer des questions.
Une séance sur l’impact du numérique sur l’environnement était prévue mais n’a pas pu avoir lieu. D’autres contraintes dans le calendrier ont amené à revoir les intentions de l’équipe pour n’impliquer que sept élèves dans la phase de réalisation du jeu, moins ambitieuse. Ils avaient comme consigne de ne pas perdre de vue que le jeu visait les élèves des autres niveaux du collège n’ayant pas acquis leurs connaissances donc ils devaient s’appliquer à tendre vers de la vulgarisation scientifique mais aussi imaginer des questions ni trop complexes, ni trop simples pour que l’envie d’apprendre soit sollicitée. Lors des séances, les élèves avaient toute latitude pour concevoir la forme et les éléments du jeu. Leur expérience respective et leurs aptitudes face à l’usage du numérique ont permis une autonomie quasi totale, une coopération, une collaboration, une capacité à opérer des allers-retours et à analyser la situation ainsi que la pleine expression de leur créativité. La production finale se concrétise par une image interactive sous genial.ly avec insertion d’autres images qui ouvrent des mots-croisés, quizz créés avec Learning apps. La réussite à chacun de ces petits défis est récompensée par un mot qui permettra, par assemblage, de reconstituer un slogan pour la lutte contre le réchauffement climatique.

Lien vers le scénario pédagogique : http://profdoc.discipline.ac-lille.fr/enseigner/scenarios-mutualises-2/mutualisation-education-aux-medias-et-a-linformation/creation-dun-jeu-sur-le-rechauffement-climatique-oceans

Projet Académie de Nice : 

“Copier-coller, vol ou remix, un débat citoyen ?” est un projet mené en interdisciplinarité par le professeur de technologie et le professeur documentaliste. Après des séances sur la sécurité numérique, les serveurs, la recherche et la fiabilité de l’information, le droit d’auteur et la propriété intellectuelle, les responsabilités éditoriales, les élèves de 5e devaient concevoir un jeu de piste en ligne sur les droits numériques, dans lequel ils ont intégré des capsules vidéos et des podcasts illustrant différents cas de figure de réutilisation de contenus. 9h de séances ont été consacrées pour l’élaboration de ce projet.
Ils ont publié leur travail dans un genial.ly permettant ainsi de mettre en avant rapidement le jeu de piste, tout en faisant appel à leur créativité numérique. Ce n’est pas le résultat qu’il est nécessaire d’analyser, car le contenu est fait par des élèves de 5e qui ont encore une maîtrise assez vague des compétences en EMI (début de cycle 4).
Il est important de mettre en avant dans cette conception d’un jeu numérique, la démarche de raisonnement, l’implication, la co-création, la co-créativité, la confrontation, la résolution de problèmes. Cela a permis aux élèves de se dépasser, d’avoir une démarche raisonnée, un esprit critique face aux contenus diffusés.

Lien vers le scénario pédagogique : https://www.pedagogie.ac-nice.fr/doc-azur/2022/05/31/traam-emi-copier-coller-vol-ou-remix-un-debat-citoyen/

 

Conclusions tirées des expérimentations de terrain au regard de la théorie

1)  Maitriser les outils et diversifier les approches

La mobilisation de la créativité numérique est rendue possible à la condition d’avoir été déjà confronté à des situations de résolution de problèmes, du travail collaboratif, qui développe l’adaptabilité et la flexibilité de l’apprenant, de la démarche essai-erreur, de l’analyse de pratiques.

L’expérience sur le terrain révèle que les élèves font preuve de créativité dans l’usage du numérique quand leurs enseignants l’utilisent régulièrement et sous différentes formes dans leurs pratiques pédagogiques (outils pour transmettre des savoirs, outils pour évaluer des compétences et connaissances des élèves, productions demandées aux élèves). Plus la variété des outils connus par les élèves est large, plus leur créativité pourra s’affirmer : ils sauront choisir le logiciel ou l’application en fonction de la finalité de leur production.

Outiller les élèves engendre le développement de leur créativité. D’où l’importance de pouvoir mettre en œuvre une progressivité des usages en matière de numérique de la 6e à la 3e comme de la seconde à la terminale, progressivité à laquelle s’ajoute la nécessité de placer les élèves dans des situations pédagogiques diversifiées.

2)  Évaluer des compétences et mesurer la créativité

Au regard des actions menées, il convient de noter peut-être la difficulté supplémentaire que représente la validation de compétences dans le cadre de projets créatifs.

Ces projets doivent laisser une grande liberté aux élèves. Il doivent acquérir à la fois savoir faire et regard critique mais également certains savoirs techniques car ils s’inscrivent dans la démarche de projet ou simplement dans leur parcours scolaire.

L’enseignement doit être réactif et présent afin de réorienter le projet au quotidien. Cet investissement permet de garantir le cadre et les objectifs des apprentissages. Ce travail est plus chronophage mais certainement enrichissant et créatif également ( voir ci-dessous ).

Les compétences pratiques seront validées de manière plus flexible pour les élèves grâce à des outils en ligne comme la plateforme Pix.

De la même manière, une réflexion sur la mesure de l’engagement créatif des élèves pourrait être lancée. Cet investissement et ce ” savoir penser ” est moins quantitatif.

Sans doute serait-ce une piste de sonder les élèves (par exemple via un QCM Moodle ou via Pronote) en les interrogeant sur leur expérience et en leur demandant de prendre la mesure qualitative de leur part de créativité et de réflexion apportée au projet ?

3 ) Réflexion sur la notion de temps de projet et de travail pédagogique créatif hybride.

L’approche techno-créative est une démarche de projet.

Ainsi, il nous semble important de noter que le temps créatif, ce temps de projet, n’est pas toujours le temps scolaire. Accompagner les élèves demande un investissement supérieur. Il est aujourd’hui bien sûr facilité et rendu possible par la maîtrise des outils collaboratifs numériques.

Il convient toutefois semble-t-il de prendre en compte le coût personnel de cet engagement. Ce travail est instantané et déborde nécessairement du temps scolaire, il ne tient bien sûr également pas compte des nombreux imprévus. Il nécessite concrètement de nombreuses heures de travail devant des écrans et de rester mobilisé en permanence.
Les programmes et objectifs de tels projets doivent permettre la souplesse tout en anticipant les échéances sur un temps plus long. Un exercice d’équilibre plus complexe assurément mais qui doit être pris en compte afin d’assurer la réussite.

Il semble également, si cela restait à démontrer, que les échanges en présentiel et le contact humain doivent rester au cœur des démarches techno-créatives. Le cadre de ces échanges et leur qualité ne doivent pas être négligés non plus. Ils permettent une communication et des interactions irremplaçables et complémentaires à nos travaux numériques et les enrichissent.

La démarche de projet créative est aussi une démarche d’équipe, avec les élèves. Tous les outils et moyens qui permettront de supporter et de renforcer ce collectif seront des facteurs de succès.

 

Auteurs et contributeurs pour cet article :

Blandine Tardieu, professeure documentaliste / John Inglis, professeur de SVT / Laurent Sauvage, professeur de Physique-Chimie.
Collège République à Calais – Académie de Lille.

Caroline Soubic, professeure documentaliste / Cédric Gamblin, professeur de technologie.
Collège Henri Wallon à La Seyne sur mer – Académie de Nice.
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