TRAAM EMI : Carnets de lectures nomades en 2de

Les travaux académiques mutualisés en Education aux Médias et à l’Information s’articulent en 2021-2022 autour du thème de la créativité numérique. Le groupe de travail de l’académie de Nice a choisi d’articuler ses propositions autour de la problématique suivante :  L’acquisition d’une véritable culture numérique par les adolescents leur permet de devenir des citoyens responsables. Comment l’enseignant peut-il accompagner les élèves afin de leur permettre de devenir des citoyens numériques créateurs et utilisateurs de contenus hybrides ?

Pour explorer ce questionnement, le travail présenté ici s’inscrit dans l’axe 1 :  Hybridation et culture numérique comme vecteurs et accélérateurs de créativité .

Fruit de la collaboration entre Perrine Le Dûs, professeure documentaliste, et Antoine D’Avout, professeur de lettres modernes au Lycée International de Valbonne, le projet pédagogique proposé à des élèves de seconde émergent les réflexions suivantes :

  • d’une part, comment transformer les « traditionnels comptes-rendus de lectures » du cours de français en réalisations créatives et engageantes pour les élèves, qui favorisent une appropriation personnelle de l’œuvre ?
  • d’autre part, comment l’appropriation de compétences numériques et les possibilités offertes par les outils peuvent-elles développer la créativité des élèves et les amener vers de nouvelles productions ?
 
Contexte pédagogique :

Le projet pédagogique proposé aux élèves de seconde s’est déroulé tout au long de l’année scolaire, articulé autour de plusieurs temps forts.

Il s’est inscrit dans le programme de français qui mentionne :

« Le professeur veille à présenter, dans les parcours mais aussi par le choix des œuvres intégrales ou de celles abordées en lecture cursive, un tableau varié de la littérature française et francophone. Il propose, en particulier pour les lectures cursives, des œuvres appartenant aux littératures étrangères, du passé lointain – en particulier les textes de l’Antiquité – jusqu’à la période moderne et contemporaine, en s’appuyant sur des traductions de qualité et reconnues. La participation à des actions autour de la lecture, en lien avec les professeurs documentalistes, est favorisée.

Pour éclairer la lecture des œuvres et des textes littéraires composant les parcours par leur mise en relation avec les autres arts et pour développer chez les élèves des connaissances d’ordre esthétique et la capacité d’analyser des images, le professeur propose des prolongements artistiques et culturels »

Source : Programme de français de la classe de 2de GT, p.9.

En articulation avec la progression annuelle, la classe a également participé à un projet proposé et piloté par la région académique : le Prix littéraire des lycéens et apprentis en région Sud : https://prixlitteraire-regionsud.fr/.

Entre septembre 2021 et mai 2022, les élèves devaient lire une liste de 10 titres sélectionnés dans l’actualité littéraire (5 romans, 5 BD), participer à plusieurs événements, rencontrer les auteurs et élire leur titre favori.

Les livres du Prix littéraire des lycéens et apprentis en région Sud ont servi de support à de nombreuses activités au cours de l’année, notamment à l’alimentation des carnets de lectures des élèves.

 
Le carnet de lectures :

Nous avons demandé aux élèves de se munir dès la rentrée d’un carnet de lectures, un journal de bord individuel dans lequel ils auraient à rendre compte des lectures réalisées dans le cadre du cours de français, de leurs lectures personnelles et des liens qu’elles entretiennent avec d’autres champs culturels (cinéma, séries, musique, arts plastiques et autres).

Ce carnet, personnalisé par chaque élève, est hybride et multimédia. Le cahier papier devient le support aux créations variées, rassemblées grâce à l’utilisation de codes QR.

Les élèves se basent sur une liste indicative d’activités à réaliser autour de leurs lectures. Ils peuvent piocher dans cette liste ou proposer leurs propres suggestions d’activités. Ils complètent leur carnet de lectures en autonomie et des points réguliers sont faits en classe pour rendre compte de l’avancée du travail, découvrir un nouvel outil ou réaliser une activité en commun.

Les carnets de lecture ont fait l’objet de trois évaluations dans l’année, une à la fin de chaque trimestre.

1 – utiliser et compléter son carnet de lectures (version .odt) 1 - utiliser et compléter son carnet de lectures

2- Présentation des carnets de lectures 2 - présentation carnets de lectures

3 – Grille évaluation carnets de lectures (version .odt) 3 - grille évaluation carnets de lectures

 
Calendrier du projet

– Septembre : présentation des carnets de lecture et présentation détaillée des différentes propositions d’activités – 1h

– Fin octobre : rappel des attendus pour l’évaluation du carnet de lectures

– Novembre : ramassage et évaluation des carnets de lectures pour le trimestre 1

– Décembre – janvier : séquence de travail en salle informatique pour guider et accompagner les élèves dans la réalisation d’activités sur support numérique – (1h en classe entière en salle classique suivie de 2h en 1/2 groupes en salle informatique) :

  • rappel des attendus et des propositions d’activités
  • apports notionnels et échange autour du RGPD et des enjeux liés aux données personnelles
  • apports notionnels sur le droit d’auteur en contexte numérique : utilisation d’images sous licence libre, citation des sources
  • présentation d’outils de création numérique
  • tutoriel pour la réalisation d’un code QR

– Février : ramassage et évaluation des carnets de lecture pour le trimestre 2

– Avril : réalisation de présentations interactives collaboratives Genia.ly sur les livres du Prix littéraire des lycéens et apprentis en région Sud – 4h. Cette séquence a fait l’objet d’un article dédié : https://www.pedagogie.ac-nice.fr/doc-azur/2022/05/31/realiser-une-presentation-interactive-pour-rendre-compte-de-sa-lecture-sequence-pedagogique/ 

– Mai : exposition des carnets de lectures au CDI et évaluation pour le trimestre 3.

 
Objectifs pédagogiques clés :

– Rendre compte de ses lectures en faisant appel à des formes diverses d’expression créative.

– Créer des documents multimédia agrégeant plusieurs formats de contenus.

 
Créativité numérique et hybridation :

La volonté de faire créer aux élèves des contenus hybrides, à la fois physiques et numériques, s’est imposée dès l’origine du projet.

L’existence d’un carnet papier a plusieurs avantages : l’ensemble des créations sont réunies en un seul endroit, il est personnalisable à souhait, et la présence d’un objet physique permettait d’envisager la tenue d’une exposition en fin d’année.

Pour relier cet outil physique à la créativité numérique, il nous a semblé indispensable de trouver une forme hybride. Nous avons fait le choix d’utiliser des codes QR à coller dans les carnets de lectures, pour leur simplicité de mise en œuvre et la connaissance qu’en avaient déjà la plupart des élèves.

Concernant la réalisation d’activités sous forme numérique, nous avons fait le choix d’une entrée par objectifs plutôt que par outils : nous n’avons pas imposé l’usage d’outils spécifiques, mais avons laissé les élèves choisir les outils les plus appropriés ou ceux dont ils avaient la meilleure maîtrise pour réaliser les activités attendues.

Nous avons choisi de leur faire manipuler les outils qu’ils connaissent et utilisent au quotidien, y compris dans leurs habitudes extrascolaires. Il nous a en effet semblé fondamental de partir de leurs pratiques et de leur culture numérique réelles, afin de construire avec eux à partir de leurs savoir-faire informels des connaissances structurées sur le numérique et l’information.

Nous nous appuyons ici sur la thèse développée dans le travail de recherche d’Anne Cordier, qui vise à penser une Education à l’Information et aux Médias émancipatrice et de nature à former des citoyens du numérique. S’appuyer sur les usages numériques quotidiens des élèves, travailler à partir des outils qu’ils utilisent entre eux, permet de construire des compétences et connaissances numériques solides  et transférables en dehors de la sphère scolaire car directement applicables à leurs pratiques informelles.

Anne Cordier détaille ses travaux de recherche sur ce thème dans l’ouvrage Grandir connectés : les adolescents et la recherche d’information publié chez C&F éditions en 2015. On retrouve également ses carnets de recherche dans son blog Cultures de l’information :

https://cultinfo.hypotheses.org/category/cheminer/grandir-connectes

L’expérimentation a consisté à laisser aux élèves le libre choix des outils qu’ils souhaitaient utiliser pour la création d’activités sur support numérique.

Par exemple, une des activités proposées consistait à réaliser un moodboard  – c’est à dire un assemblage de visuels : images, couleurs, textes, ambiances – sur un livre ou un personnage.

Pour réaliser cette activité, certains ont utilisé des logiciels de design graphique comme Canva ou Piktochart. D’autres se sont tournés vers des applications de collage d’images ou de photomontage sur leur téléphone, applications qu’ils utilisent habituellement pour leurs publications sur les réseaux sociaux (PicCollage ou InCollage par exemple). Certains enfin ont choisi tout simplement de réaliser leur collage à l’aide d’un logiciel de traitement de texte.

Cette fluidité dans l’utilisation des outils, si elle ne favorise pas le développement de nouvelles compétences techniques, permet en revanche de dégager du temps pour mettre l’accent sur des notions clés de l’EMI comme dans ce cas précis, l’importance d’utiliser des images sous licence libre et d’en citer les sources.

 
Questions de droits : les pratiques des élèves face au RGPD.

Laisser les élèves utiliser leurs appareils et leurs outils personnels (logiciels, applications, comptes sur les réseaux sociaux) n’est pas sans poser problème d’un point de vue juridique. En effet, le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD), réglementation européenne entrée en vigueur en France le 23 mai 2018, dans un objectif de protection des données personnelles des individus, impose aux établissements scolaires un cadre et des limites strictes pour la collecte et l’utilisation des données à caractère personnel des élèves.

Les principes généraux d’application du RGPD dans le cadre de l’Education Nationale sont résumés dans cette infographie proposée sur le site du Ministère :

Source : Ministère de l’Education Nationale. “Les enjeux de la protection des données au sein de l’éducation”. education.gouv.fr, MAJ mai 2022. En ligne : https://www.education.gouv.fr/les-enjeux-de-la-protection-des-donnees-au-sein-de-l-education-7451 

C’est donc une question qui a sous-tendu l’ensemble de notre projet : comment parvenir à donner toute leur place à la culture et aux pratiques numériques informelles des élèves, tout en respectant le cadre juridique qui structure les pratiques institutionnelles ?

Proposer aux élèves d’utiliser les outils de leur choix permet dans une certaine mesure de contourner la difficulté  : ils se tournent vers des logiciels et applis qu’ils utilisent déjà, pour lesquels ils ont déjà un compte personnel, sans injonction spécifique de la part des enseignants, et nous fournissent uniquement le résultat de leur travail. Au titre du travail scolaire, on peut donc considérer qu’il n’y a pas de recueil de données personnelles.

Il ne s’agit pas pour autant pour les enseignants de s’affranchir du travail indispensable d’éducation à la donnée. Pour accompagner les usages de nos élèves et nous assurer qu’ils préservent leurs données personnelles dans le cadre de notre projet et au-delà, nous avons mis en place plusieurs éléments :

– Une discussion avec l’enseignante de SNT (Sciences Numériques et Technologie) de la classe nous a permis d’apprendre qu’elle avait elle-même mis fortement l’accent sur la notion de protection des données personnelles dans le cadre de son cours. Les élèves étaient déjà familiarisés avec cette notion et avaient entendu parler du RGPD. Nous nous sommes appuyés sur leurs connaissances pour conduire un échange en classe entière avant la tenue de la première séquence de travail sur les créations numériques. Lors de cet échange nous avons rappelé les principes généraux du RGPD et la définition d’une donnée personnelle, puis nous avons cherché avec les élèves des solutions permettant de respecter la réglementation dans notre projet.

Pour préparer cet échange avec les élèves, je me suis appuyée principalement sur l’infographie interactive proposée par la DANE de Lyon : RGPD : Guide pour les enseignants du second degré : https://dane.ac-lyon.fr/spip/Infographie-interactive-a. Je leur ai également projeté en classe la fiche Données personnelles de l’article RGPD : notions clés également publié par la DANE de Lyon : https://dane.ac-lyon.fr/spip/RGPD-Notions-cles.

– Nous sommes tombés d’accord avec les élèves sur les règles suivantes : si l’utilisation d’un compte personnel s’avère nécessaire pour l’usage d’un outil, 2 options :

  • soit l’élève a déjà un compte : dans ce cas il doit s’assurer que son profil ne permet pas de l’identifier (pas de prénom, nom, âge, mention d’établissement).
  • soit l’élève n’a pas de compte : dans ce cas, il se tourne vers les enseignants qui créent un compte en leur nom et lui en fournissent l’accès.

En réalité, la première option a été très prisée par les élèves, la seconde très peu (seule une élève m’a demandé l’accès à un compte Canva pour réaliser une infographie sur un livre). Il a parfois été difficile de leur faire accepter d’anonymiser leurs comptes, notamment pour les élèves qui ont réalisé des playlists : ils ont utilisé pour cela leurs comptes personnels sur des sites de streaming audio (Deezer, Spotify…) ou vidéo (Youtube), comptes qui participent de leur identité numérique et sont reliés à leurs profils sur les réseaux sociaux.

D’un point de vue plus large, nous avons pu constater que les élèves de la classe se sentent assez peu concernés par la protection de leurs données personnelles. Ils connaissent la notion, sont conscients des enjeux qui s’y rattachent, mais ils estiment pouvoir faire attention par eux-mêmes sans qu’on doive leur dicter quels outils utiliser ou ouvrir un compte à leur place. Cela va même plus loin, puisque certains élèves étaient même surpris de ne pas pouvoir utiliser leurs outils du quotidien, considérant qu’on les dépossédait de leur citoyenneté numérique.

Perrine Le Dûs, professeure documentaliste

Antoine D’Avout, professeur de lettres modernes

Lycée International de Valbonne

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