Jaugeage du débit d’un cours d’eau par dilution de chlorure de sodium

Auteurs : Fabrice Mourau1,3 ; Bruno Arfib2

1 : Collège Pierre de Coubertin, Éducation nationale (Le Luc)

2 : CEREGE – OSU PYTHEAS – Aix-Marseille Université (Marseille)

3 : EDUMED Observatory – UMR Géoazur – OCA – Université de Côte d’Azur (Valbonne)

Les épisodes de pluies intenses méditerranéennes affectent régulièrement notre territoire. En relation avec le changement climatique, on craint que leur fréquence augmente graduellement dans les années à venir. Les risques qui en découlent doivent donc être prioritairement enseignés aux élèves de l’académie de Nice. L’évaluation de l’aléa  crue/inondation est directement liée à la notion de débit. Nous présentons ici deux méthodes qui permettent d’aborder cette notion sur le terrain par l’expérimentation. Elles offrent aux élèves une approche pratique qui facilitera la compréhension et permettra une sensibilisation plus efficace au risque.

Très utilisées en hydrologie et enseignée aux étudiants de mastère, ces techniques peuvent parfaitement être adaptées pour des élèves de l’enseignement secondaire. Nous proposerons des pistes d’intégration du TP au cycle 4 dans la partie « Risques », en Seconde (SVT) et en enseignement scientifique de Première.

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Le débit d’un cours d’eau

Le débit d’un cours d’eau constitue une notion importante dans l’évaluation de la ressource en eau ainsi que la compréhension des phénomènes de crue. Suivant la dimension du cours d’eau étudié, il peut être exprimé en m3/s ou en l/s et correspond au volume d’eau traversant une section transversale à l’écoulement par unité de temps (Figure 1).

Sur le terrain, l’estimation du débit est un préalable nécessaire à la mesure. Il va permettre de choisir la masse de sel à dissoudre et la distance entre le point d’injection et le point de mesure. On chronomètre un flotteur quelconque pour mesurer la vitesse de l’écoulement. On applique au résultat un coefficient de 2/3 afin de prendre en compte la différence de vitesse d’écoulement entre le fond et la surface de l’eau. Sur la figure 1, nous avons chronométré puis calculé une vitesse de 0,4 mètre par seconde en surface. Nous avons estimé une vitesse moyenne d’écoulement de 0,4 X 2/3 = 0,266 m/s. Pour une section approximative de 1 m2, le débit estimé était donc de l’ordre de 0,266 m3/s.

Deux méthodes de jaugeage du débit par dilution d’un traceur salin

On injecte une masse M de chlorure de sodium dans un cours d’eau, puis on observe en aval le passage du nuage salin (figure 2). La première méthode de jaugeage consiste à mesurer l’évolution de la conductivité électrique de l’eau à l’aide d’un conductimètre. La seconde méthode nécessite de réaliser des prélèvements d’un volume d’eau constant à pas de temps constant.

Avec un groupe classe, on peut répartir les élèves en plusieurs groupes sur le terrain. Certains seront chargés de l’injection du traceur salin, 2 à 3 autres groupes peuvent réaliser des prélèvements manuels alors que d’autres seront chargés de réaliser les mesures de conductivité.

Les points d’injection et de mesure doivent être séparés d’une distance comprise entre 50 et 100 mètres dans une petite rivière. Si la distance est trop courte, le sel n’aura pas le temps de se disperser dans l’intégralité du volume circulant. Avec la distance qui augmente, on risque cependant de perdre une partie du sel. Du point de vue de la qualité de la mesure, le tronçon ne doit pas présenter de zones d’eaux mortes et être facilement accessible sur toute sa longueur. Une reconnaissance du terrain est donc nécessaire pour l’enseignant qui veut réaliser la mesure avec sa classe. La sécurité des élèves est le premier critère de choix du tronçon de rivière étudié. Il doit être accessible sur toute sa longueur, être peu profond et présenter un débit raisonnable. La figure 3 rappelle que même des hauteurs d’eau faibles présentent un danger réel pour des vitesses supérieures à 0,25 m.s-1.

Avec un débit de 266 Litres par seconde, nous avons utilisé une masse de 1039 grammes de NaCl. La masse de sel à injecter dépend du débit et de la taille du cours d’eau. Pour une petite rivière comme le Gapeau, elle peut varier de 1kg à 100g pour 100 L/s en fonction de la distance entre les points d’injection et de mesure. La solubilité du chlorure de sodium dans l’eau froide est de l’ordre de 360 g/L. On prépare donc une saumure dans un grand volume d’eau de la rivière car l’intégralité du sel doit être dissous avant injection (figure 4).

Première méthode : mesure continue de la conductivité électrique.

Les mesures ont été réalisées avec un conductimètre sans fil PS-3210 de marque PASCO, distribué en France par Sordalab. Nous l’avons choisi pour son faible coût pour un conductimètre et sa facilité d’utilisation. Même s’il est étanche à la norme IP67 (30 minutes sous 1 mètre d’eau), nous l’avons fixé à un flotteur en polystyrène, les données ont été enregistrées de la rive à l’aide d’une tablette et de l’application dédiée Capstone. Un thermomètre PS-3201 de la même série a été utilisé en même temps afin de réaliser un suivi de la température de l’eau durant la mesure (figure 5). Le pas d’échantillonnage est de 5 secondes. Une fois le nuage salin passé, les données sont exploitées sur le terrain, puis extraites au format .CSV pour les calculs qui seront réalisés en classe.

Exploitation des résultats de la mesure :

  1. Relation entre la conductivité électrique et la concentration saline.

Il existe une fonction linéaire reliant la conductivité électrique Ce d’une eau de rivière à sa concentration en chlorure de sodium dissous [NaCl]. La conductivité électrique varie en fonction d’un coefficient alpha légèrement inférieur à  1/2 de la conductivité naturelle de la rivière.

Sur le terrain, on estime que a=1/2 et b sera corrigé en soustrayant Ci aux résultats de mesure.

D’un point de vue plus rigoureux, on peut tracer la courbe de tarage. Au laboratoire on réalise plusieurs saumures avec de l’eau prélevée le jour de la mesure. On détermine graphiquement les paramètres de la fonction affine reliant concentration et conductivité électrique.

2. Calcul de débit.

Ci : la concentration initiale de sel circulant naturellement dans la rivière (g/m3).

Cm : la concentration moyenne de sel mesurée pendant la manipulation (g/m3).

Delta Cm est l’élévation moyenne de la concentration de NaCl liée à notre manipulation :

Q : débit (m3/s)

T : temps de passage (s)

M : la masse de NaCl injectée (g)

V : le volume dans lequel le sel s’est dissous (m3)

On remplace V par son expression liée au débit :

On obtient donc la formule de calcul du débit :

Résultats :

Deuxième méthode : prélèvement d’eau.

Comme précédemment, l’objectif est de connaître la concentration moyenne de sel qui circule dans la rivière pendant un temps T. Nous allons utiliser un seau et un petit récipient (figure 6).  A Partir de T0, moment de l’injection, on va prélever toutes les 5 secondes le même volume V d’eau dans la rivière. On continue le prélèvement jusqu’à ce que le nuage salin soit entièrement passé. La conductivité électrique de l’eau prélevée en fin de manipulation correspond à la conductivité moyenne Cm de la rivière sur le temps T. Les calculs qui suivent sont les mêmes que pour la première méthode.

Discussion et place de cette manipulation dans les programmes de l’enseignement secondaire

L’étude du débit est importante dès le cycle 4. En relation avec le changement climatique et l’augmentation probable de fréquence des épisodes méditerranéens, il est abordé dans le cadre de l’enseignement du risque. Le débit permet de définir l’aléa mais il constitue une notion compliquée pour les collégiens car elle implique à la fois un volume et une vitesse. La mesure sur le terrain offre aux élèves une approche concrète et pratique qui leur permet de s’approprier plus facilement la grandeur. L’étude de photographies et de documents vidéo permet de les sensibiliser aux effets des crues et surtout aux dangers qu’elles induisent pour eux et la population en général (figure 7). Le programme de cycle 4 aborde également la ressource en eau et le débit permet aussi de dimensionner la ressource disponible pour l’irrigation par exemple. Pour les collégiens, l’analyse des résultats peut être simplifiée. On peut fournir à l’élève une feuille de calcul pré-remplie avec des champs à compléter.

Figure 7 : Photographie de notre station de mesure après l’épisode de pluies méditerranéennes intenses du 23 novembre 2019.

En seconde, on peut aborder le débit dans la partie Géosciences et dynamique des paysages en relation avec les conditions de transport et de sédimentation dans le domaine continental. La manipulation est une mesure réalisée dans l’environnement qui peut aussi être traitée en interdisciplinarité dans le cadre de l’enseignement scientifique de première en lien avec l’éducation au développement durable. La sonde de conductivité peut relativement facilement être construite en lycée dans le cadre du projet d’enseignement scientifique à l’aide d’une carte Arduino et d’un capteur de conductivité (Atlas scientific par exemple).

Du point de vue pratique, on trouve assez facilement un conductimètre dans les laboratoires de sciences physiques au lycée. Le modèle PASCO utilisé pour cet article est peu précis mais peu cher (160 euros environ).  Il conviendra très bien pour un usage au collège sans trop affecter la validité des mesures, basées sur une différence de conductivité.

 

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