Virtual fieldtrips : le virtuel au service du travail sur le terrain

par Fabrice Mourau

Pour la mise en œuvre des épreuves en ligne des olympiades internationales de géosciences 2021, l’équipe EduMed (edumed.unice.fr) a exprimenté une solution de terrain virtuel. Elle est utilisable par tous à l’adresse suivante : http://edumed.unice.fr/virtual_tour/mazaugues/bauxites_vf/.

Dans cet article nous allons aborder successivement (1) les choix technologiques et la méthode de création d’un « virtual fieldtrip », (2) les modalités de mise en œuvre avec les élèves basées sur des expérimentations menées cette année au collège Pierre de Coubertin et (3) une réflexion sur l’outil et ses limites.

I. Création d’un terrain virtuel

La facilité de mise en œuvre a été notre premier critère de sélection d’une méthode de création. Nous savons que toute solution technique trop compliquée, trop chronophage ou nécessitant un niveau élevé de maîtrise des compétences numériques n’aurait trouvé que peu d’échos au sein de la communauté enseignante. Ensuite, le produit fini doit être facilement consultable par tous :  c’est-à-dire avec un ordinateur de bureautique et doté d’une connexion internet correcte ne nécessitant pas de très haut débit. Nous nous sommes appuyés sur le travail de Sébastien Ventura et Julie Allen, enseignant respectivement les SVT et les Mathématiques au sein du collège Lou Garlaban d’Aubagne dans le cadre du dispositif de région académique « Eaux souterraines ». Dans le cadre de leur option spéléo/environnement et avec l’aide du CDS13 et du contrat de ville, ils ont été pionniers dans l’utilisation du logiciel Virtual tour édité par l’entreprise espagnole 3D vista. Ce logiciel, destiné avant tout aux agences immobilières, permet assez facilement de créer des visites virtuelles à partir de photographies panoramiques à 360°, connectées entre-elles par des raccourcis visuels. L’utilisation est intuitive et propose de nombreuses possibilités d’incrustation de contenus : iframe de pages web, images, objets 3D, vidéos, textes… Seul bémol : son prix de 500 € hors taxes pour une licence définitive.

Figure 1 : La visite de la grotte de la Foux contient à la fois une carte interactive et des points d’intérêts qui ouvrent des images, des textes, des objets 3D ou des iframes.

La création de photographies panoramiques peut s’avérer relativement fastidieuse et chronophage sur le terrain si on possède un appareil photographique standard : cela nécessite un pied photo, du temps, de la précision et un post-traitement qui peut être assez long si on recherche un très bon résultat.

C’est ce que font les collègues d’Aubagne, exemple ici : https://projet360.antranet.fr/riviere/index.htm.

Nous avons donc cherché à simplifier le travail sur le terrain en utilisant une caméra 360 qui prend directement l’image panoramique sur le terrain et sans post-traitement lourd. Dans le cadre de l’Erasmus+ KA229 « Groundwater : Learn to preserve the European underground environment », le collège Pierre de Coubertin du Luc a acquis une caméra GO PPRO Max et nous l’avons utilisée sur le terrain, mise en œuvre directement avec et par les élèves impliqués dans le projet.

Lien vers la page réalisée dans ce cadre : https://twinspace.etwinning.net/121794/pages/page/2315121.

La visite en lien avec les IESO a été réalisée avec ce matériel, seule les photos « aériennes » ont été réalisées avec un drone DJI Mini 2 qui possède aussi une fonction « 360 ».

Figure 2 : Virtual tour permet de créer des cartes interactives et des boutons. Ils ouvrent ici les documents d’accompagnement classiques : clés de détermination, cartes ou échelles stratigraphique.

Une fois créé sur l’ordinateur de l’auteur, le logiciel Virtual tour permet plusieurs formes d’exports de la visite. Il peut simplement s’agir d’un exécutable pour Windows ou mac OS qui pourra être copié pour les élèves sur un serveur pédagogique d’établissement ou mis à la portée de tous par un lien de téléchargement sur un drive. La solution que nous avons préférée implique la construction par le logiciel d’un site web autonome qu’il suffit de copier sur un serveur. Cela fonctionne très bien sur les espaces persos mis à disposition par les fournisseurs d’accès (orange, free…) ou dans notre cas sur le serveur EduMed qui appartient à UCA, l’université de Côte d’Azur. Plusieurs options sont disponibles en créant le site, notamment celle de le rendre compatible avec les lunettes de réalité virtuelles disponibles sur le marché.

Pour résumer cette partie « technique » : nous utilisons le logiciel Virtual Tour avec une caméra de sport 360 et nous avons choisi une diffusion en ligne via le serveur EduMed. Les points forts sont la facilité de mise en œuvre et d’utilisation. Les points fragiles sont (1) le prix et (2) la nécessité d’avoir un accès à un serveur institutionnel.

II. En situation d’enseignement

A/ Les IESO, banc d’essai du dispositif

La mise en œuvre de notre première visite pour les IESO nous a permis de progresser assez rapidement dans la réflexion pédagogique autour de notre nouvel outil. Les mentors, enseignants chargés de contrôler le contenu des épreuves, se sont montrés très favorables à l’outil à une exception près, nous y reviendrons. Ils se sont cependant tout de suite inquiétés de la difficulté d’usage par les élèves de la visite virtuelle et ont craint une difficulté trop importante. Suivant leurs conseils, nous avons été incités à beaucoup abaisser le niveau des questions et du travail proposé. Suite aux épreuves, les candidats ont vraiment beaucoup aimé le format de l’exercice « virtual fieldtrip » et nous avons reçu énormément d’éloges de la part des encadrants de tous les pays. Au final, les notes obtenues ont été très bonnes et les correcteurs ont eu du mal à discriminer les copies qui approchaient souvent le nombre de point maximal. Comme quoi les inquiétudes initiales des mentors sont peut-être plus « générationnelles » : les jeune sont très habitués à ce type d’interface proche des jeux vidéo et se déplacent très bien au sein d’un terrain virtuel.

 

B/ Des critiques … justifiées

Un mentor des IESO s’est tout de suite montré assez critique avec ce type de contenu et le même type de reproches ont été répétés, essentiellement par les universitaires. Leur reproche partagé correspond à une possible confusion induite chez les élèves entre la réalité et le terrain. Elle s’associe tout le temps également à une crainte plus ou moins exprimée d’une perte des moyens alloués au travail de terrain au profit d’une virtualisation du travail pratique. Nous les rejoignons tout de suite sur le second point et, au vu de contraintes économiques croissantes, nous considérons que leur inquiétude est fondée. Mais l’outil existe, le génie est déjà sorti de sa bouteille et “on ne rentre pas le dentifrice après qu’il soit sorti du tube”, le terrain virtuel n’est pas confidentiel et il est déjà développé, notamment par le secteur privé qui ne manquera pas de le facturer à l’éducation. Autant promouvoir et accompagner la mise en œuvre de solutions gratuites, développées directement par les enseignants avec un petit coup de pouce de l’observatoire EduMed si nécessaire, nous en reparlerons.

La première inquiétude des collègues réticents est plus critiquable, de notre point de vue. La confusion virtuel/réel est un vrai problème mais il n’est pas nouveau. On le rencontre depuis toujours avec la notion de modèle. Les enseignants savent déjà éviter cet écueil et au contraire s’appuyer dessus pour construire une bonne leçon de sciences. Il s’agit bien évidemment ici d’une question de formation continue des collègues. Dans les premiers et second degré, elle est très bien encadrée par le corps d’inspection : il faudra effectivement que l’enseignant soit clair avec ses élèves sur la nature de l’objet utilisé, mais les enseignants de sciences sont bien formés et rigoureux, avec un rappel préalable, ils le feront consciencieusement.

Figure 3 : La visite virtuelle de la Brague, près de Valbonne, permet aux élèves de vivre une expérience de coloration. Ils sont immergés dans une vidéo 360 qui montre la manip sous terre (réalisée ici par P. Audra, hydrogéologue UCA). Le fluorimètre et les données sont disponibles dans la visite au point d’instrumentation.

 

C/ Plus-values éducatives du “Virtual fieldtrip”

Nous avons utilisé l’outil au cours de l’année scolaire 2021-2022 en collège et toujours dans le cadre de notre ERASMUS. Il a toujours été mis en œuvre en relation avec du travail de terrain réel et sous 2 formes :

 

1. Les élèves, auteurs de la visite virtuelle.

L’objectif du travail était de faire réaliser à des élèves de troisième la visite virtuelle de la grotte de la Foux de Saint-Anne D’Évenos près de Toulon. Ils devaient pour cela identifier sur (enfin sous) le terrain, les objets les plus intéressants à partager, de réaliser des observations de terrain à l’ancienne (carnet de terrain, crayon) associées à une prise de vue 360 ou classique. Nous avons démontré ainsi que la prise de vue 360 est très simple : elle est réalisable sur le terrain en conditions compliquées (en spéléo, quelle idée…) et par les élèves. Évidemment, nous avions préparé les élèves à reconnaitre les objets pertinents dans le cadre de l’enseignement de cycle 4 : roches réservoir d’eau, fossiles, biodiversité, sédiments… Ce travail a été réalisé en transversalité avec (1) les collègues d’EPS, (2) d’anglais et (3) d’Histoire-géographie : la sortie a servi de support au perfectionnement des APPN, la grotte a servi d’abri pendant la seconde guerre mondiale et le travail a été réalisé en anglais (ERASMUS forcément…). Une fois le squelette de la sortie réalisé par l’enseignant avec les photos des élèves (1h de travail environ), les élèves l’ont consulté en classe et ont créé l’habillage : points d’intérêts, zooms, textes explicatifs… Au final, le produit fini est à notre sens de qualité (ce sont des troisièmes d’un collège de milieu rural défavorisé qui l’ont construite), il est utilisable par tous et il a surtout constitué un élément moteur important pour toute la classe tout en permettant une différenciation efficace du travail :  chaque « topic » confié aux élèves, l’a été en fonction de son niveau d’acquisition de compétences et dans l’objectif de le faire progresser. En bonus, la classe a conçu un questionnaire en ligne à destination des autres élèves du projet (Italiens, Croates et Slovaques).

Figure 4 : la nouvelle version du VFT « Mazaugues » sera disponible en septembre. Nous avons enrichi la visite du musée en filmant le témoignage d’anciens mineurs sur fond vert et en les incrustant ensuite dans la visite. Ils accueillent les visiteurs à leur ancien poste de travail reconstitué ou leur voix accompagnent la visite des élèves.

 

2. Les élèves utilisateurs de la visite virtuelle.

Dans le cadre des Traams, nous avons intégralement traduit et augmenté la visite initiale construite pour les IESO. Une version 3 intégrant des éléments de programme de cycle 3 (Sciences), technologie et histoire-géographie est même en cours de finalisation. Elle sera disponible à la rentrée en septembre 2022. Elle a été utilisée en amont d’un travail de terrain sur la même zone : c’est-à-dire avec les mêmes types de roches et de phénomènes (karstification, bauxite, paléoclimats, exploitation des ressources, aquifère). Nous nous sommes appuyés sur la visite virtuelle pour initier les élèves au contexte géologique, faire des rappels de stratigraphie et sur la création de croquis d’affleurement. Le travail a été initié en classe (25 minutes) et était à terminer à la maison à partir d’un questionnaire papier évalué (c’était leur devoir de SVT pendant les vacances de Pâques). Sur le terrain, nous avons constaté une très grande plus-value en lien avec ce travail préparatoire : les élèves se sont montrés bien plus autonomes dans l’identification des objets et la conception de croquis. Nous avons donc passé beaucoup plus de temps « efficace » sur la géométrie des affleurements et l’argumentation scientifique en lien avec l’observation du réel. Nous pourrions imaginer un scénario pédagogique inverse, où la sortie de terrain précède l’utilisation du terrain virtuel qui pourrait être utilisé à des fins de généralisation d’un phénomène observé ou même en situation d’évaluation incluant des compétences de terrain type « à l’aide d’une capture d’écran, réalise la prise de vue qui montre le mieux tel ou tel phénomène et explique pourquoi… ».

Enfin, terminons par le plus évident : une visite virtuelle permet aussi d’accéder à ce qui ne l’est pas avec des élèves ! De nombreux affleurements sont en propriété privée, peuvent présenter des risques ou tout simplement sont très loin de l’établissement. Certaines données  disparaissent aussi avec le temps, par exemple nous avons enregistré ce printemps les témoignages de quelques anciens mineurs de bauxite encore en vie. Nous les intègrerons dès la rentrée à la visite « Mazaugues » et nous savons qu’elles pourront aussi bien servir en cours de SVT (ressource, paléoclimats), d’Histoire (le XXème siècle, la résistance des mineurs aux nazis), d’EMC (un témoignage sur les migrants italiens) ou de technologie (évolution des méthodes d’extraction).

Figure 5 : A l’aide de boutons et de raccourcis, la visite du musée est interactive. Les élèves peuvent manipuler les expériences pour tester les propriétés physiques de l’aluminium. Nous essayons de créer des visites virtuelles utilisables de manière transversales, comme une sortie de terrain impliquant plusieurs enseignants.

 

III. L’outil, ses avantages et ses limites

Le terrain virtuel n’est pas vraiment une nouveauté, l’intérêt de la solution technique que nous proposons tient essentiellement dans la facilité de sa mise en œuvre et la consultation en ligne des productions. Les deux principaux écueils à son utilisation sont (1) la nécessité d’un accès à un serveur institutionnel ou apparenté et (2) le prix du matériel : de l’ordre de 500 € hors-taxe pour le logiciel et autant pour la caméra 360. Nous trouvons ce matériel intéressant pour l’enseignement : conception de sorties axées sur la biodiversité, les géosciences ou même un projet d’amélioration des lithothèques. L’observatoire EduMed a décidé d’acheter 6 kits complets puis de les mettre à disposition des équipes pédagogiques. Ils seront prêtés pour une durée d’un an maximum et sur projet. Nous assurerons la formation à distance des coordinateurs de projet à l’usage du logiciel, puis nous publierons les visites virtuelles ainsi créées sur les serveurs de l’Université avec un accès pour tous via l’onglet « Virtual Tour » du site EduMed. Si 5 kits sont exclusivement destinés à la région académique Aix-Marseille-Nice, un pourrait être prêté ailleurs en France suivant les mêmes modalités !

 

Pistes d’exploitation en cycle 3 du “virtual field trip” dans les bauxites

Niveau : Cycle 3 (Sixième)SCIENCES

Moment/durée : idéalement, la sortie virtuelle est ici utilisée pour préparer en amont le travail de terrain avec les élèves (même si elle peut également être exploitée entièrement de manière virtuelle).

    1. Travail en classe, fiche initiation : 1 séance
    2. Travail à la maison sur : les élèves utilisent seuls le VFT et rendent la fiche complète 2.
    3. Correction rapide en classe en vidéoprojetant les éléments clés (20’ max)
    4. Travail sur le terrain

 

Objectifs :

    1. Savoir-faire/compétences : L’activité est conçue pour répondre à une problématique enseignante (déjà évoquée ici : https://www.youtube.com/watch?v=yegL8nRNyZs ). L’objectif est de préparer la visite de terrain avec les élèves en (1) apprenant les méthodes de travail sur le terrain et (2) pointer les objets qui seront à reconnaitre.
    2. Notions 
    • Objectif principal : L’histoire de la Terre et de la vie est construite à partir de l’observation de fossiles et l’organisation géométrique de leur disposition permet de proposer une chronologie.
    • Dans la visite du musée, on aborde en partie
      • L’évolution technologique (méthode de forage, éclairage des mineurs, transport du minerai)
      • Les propriétés des matériaux
    • L’observation des haldes, des restes d’exploitation illustrent l’impact environnemental d’une exploitation de ressources minières (pour aller plus loin : les boues rouges rejetées au large des calanques…)

 

Des fiches d’activité à destination des élèves sont proposées ci-dessous :

Fiche pédagogique n°1

Fiche pédagogique n°2

 

 

Liens vers les “virtual field trips” 

Sortie virtuelle dans la grotte de la Foux

Sortie virtuelle dans les bauxites du Var

Aller au contenu principal