Proposition d’activité pédagogique – Comment Darwin a changé d’avis

On l’oublie parfois, mais Darwin n’a pas toujours été évolutionniste.

Darwin, à différents âges

La mauvaise réputation faite à Lamarck et à son grand-père Erasmus, défenseur excentrique de la transformation des espèces, l’a d’abord convaincu de se tenir soigneusement éloigné de cette théorie. On peut s’en faire une idée à la lecture d’une lettre qu’il écrira bien plus tard au botaniste anglais Joseph Hooker : “je suis presque convaincu que les espèces ne sont pas (c’est comme si j’avouais un crime) immuables“. Et contrairement à ce qu’on lit souvent Darwin n’a pas changé d’avis lors de son tour du monde sur le Beagle. Voici ce que lui-même en dit dans son autobiographie :

« Au cours du voyage du Beagle, j’avais été profondément impressionné premièrement en découvrant, dans les sédiments de la pampa, de grands animaux fossiles couverts d’une armure semblable à celle des tatous actuels ; deuxièmement par la manière dont des animaux étroitement apparentés se succèdent et se substituent les uns aux autres quand on avance vers le sud du continent ; et troisièmement par le caractère nettement sud-américain de la plupart des espèces de l’archipel des Galápagos, et plus spécialement par la manière dont elles diffèrent légèrement d’une île à l’autre, bien qu’aucune de ces îles ne paraisse très ancienne du point de vue géologique. »

Pour impressionnantes qu’elles furent, ces différentes observations ne prendront réellement sens qu’à son retour en Angleterre, en particulier suite à l’étude des pinsons des Galápagos par l’ornithologue John Gould. C’est lui qui fera remarquer à Darwin d’une part que les pinsons sud-américains n’ont pas d’équivalents dans l’archipel, et d’autre part que chaque île porte une espèce distincte, bien que toutes présentent suffisamment de similitudes pour constituer une famille.

Il convient de ne pas sur-interpréter ces constats et, plus précisément, de ne pas commettre d’anachronisme. Lorsque Gould parle de “famille” la systématique n’a pas le sens phylogénétique qu’on lui connaît aujourd’hui. Une ressemblance entre deux espèces n’est alors pas interprétée comme l’indice d’une relation de parenté puisque cela reviendrait à penser que ces deux espèces ont évolué à partir d’une espèce ancestrale et que cela suppose une théorie de l’évolution qui n’existe pas encore. Cette remarque est d’autant plus importante que cet anachronisme peut aisément survenir à la lecture du programme de la classe de seconde :

  • L’unité chimique des êtres vivants est un indice de leur parenté.
  • L’unité structurale et fonctionnelle (cellulaire) commune à tous les êtres vivants est un indice de leur parenté.
  • L’universalité du rôle de l’ADN est un indice de la parenté des êtres vivants.
  • Les parentés d’organisation des espèces d’un groupe suggèrent qu’elles partagent toutes un ancêtre commun.

Chacune de ces phrases interprète une ressemblance comme l’indice d’une parenté, laquelle sous-entend l’existence d’un ancêtre commun. Mais, il faut se rappeler que l’anatomie comparée existait bien avant les thèses évolutionnistes. Cuvier, par exemple, savait parfaitement que les vertébrés partagent un même plan d’organisation de leur squelette. Pourtant cela ne l’empêcha pas de demeurer profondément fixiste. Ce n’est que dans le cadre conceptuel d’une nouvelle théorie, celle de l’évolution, que les ressemblances entre les espèces seront réinterprétées comme des homologies.

Dès lors, énoncer que Darwin a compris que les espèces évoluent simplement parce qu’il a appris que les pinsons des Galápagos étaient à la fois différents des formes sud-américaines et différents d’une île à l’autre tout en se ressemblants, n’a aucun sens. Ce serait comme proposer que l’observation de pigeons à Nice et de tourterelles en Corse aurait dû conduire à penser que les espèces évoluent.

Non, pour saisir la portée des conclusions de Gould il faut tenir compte de l’information géologique que rappelle Darwin : les îles volcaniques des Galápagos sont jeunes. C’est là que réside le paradoxe qui va le contraindre à changer d’avis en imaginant que les espèces se transforment. Et ce n’est qu’après avoir admis cette hypothèse qu’il se mettra à la recherche d’un mécanisme susceptible d’expliquer cette transformation.

Au-delà de son intérêt historique et épistémologique, cet épisode renferme un formidable argument en faveur de la théorie de l’évolution, aisément opposable à un discours créationniste : essayez donc d’expliquer les particularités des pinsons des Galápagos et de leurs cousins sud-américains sans recourir à la théorie de l’évolution ! De surcroît, l’exemple des pinsons permet d’exposer simplement des notions centrales de ce thème : parenté, homologie, ancêtre commun, spéciation, phylogénie. Voilà résumé les objectifs de cette activité.

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Auteur : Julien Cartier

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